Wilfred in Love

PAUL ELSAM

From the Screenplay Wilfred in Love (2018) by Paul Elsam

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3 January 2018

1. EXT. SHELL CRATER. NIGHT 

We hear the distant thump and thud of guns and shells. Sleet is falling. WILFRED, aged 24, is discovered in dim moonlight, lying very still in an awkward position. His tattered WW1 British Army junior officer’s uniform is spattered with blood. 

WILFRED (V.O.) 

It seemed that out of the battle I escaped down some profound dull tunnel, long since scooped through granites which Titanic wars had groined. 

Nearby there is what looks like a bloodied bundle of clothes – actually the mangled body of “TIM”, a fellow soldier. With great difficulty WILFRED raises his weight onto his elbows and looks around him. He sees the body of the fellow soldier. 

WILFRED (V.O.) 

Yet also there encumbered sleepers groaned – too fast in thought or death to be bestirred.

WILFRED drops to the ground. 

2. INT. LIVING ROOM IN TERRACED HOUSE – NIGHT. FLASHBACK 

YOUNG WILFRED, dressed as a Bishop, has finished setting up his mock-church. It is beautiful – candles reflected through mirrors, coloured cloth, chairs doubling for pews, an overturned armchair doubling as the lectern. His family are seated: MOTHER SUSAN, YOUNG MARY, YOUNG HAROLD, and TODDLER COLIN. FATHER TOM is stood in the doorway, impressed but wary. YOUNG WILFRED lifts up a sheet of paper filled with writing, and is about to begin his sermon when… 

END FLASHBACK. 

3. EXT. SHELL CRATER. NIGHT 

Back in the shell crater, WILFRED struggles back up onto his elbows and peers over at the body again. 

WILFRED 

Fu-ck… 

“TIM”’S HEAD (with Liverpool accent) 

Language for Christ’s sake. I thought you were a poet.

WILFRED looks baffled and drops to the ground again. 

WILFRED 

I can’t cope… 

“TIM”’S HEAD is now raised up. It’s a real, almost-severed head with moveable jaw, the mouth wide open to expose a hole at the back of the head. The fixed expression is one of delight. 

“TIM”’S HEAD

He can’t cope. What about me? Flippin’ artists. 

“TIM”’S HEAD drops to the ground and is once again part of a messy bundle of dead soldier. The rainfall slows. WILFRED reaches across to a small mess tin beside him and checks it for sleet water. With some difficulty – everything aches – he manages a sip from the melted water on top of ice. He tries hard to compose himself, then stands slowly. Everything is in fair working order, except his sense of balance – he turns and falls face down. He stands again with difficulty. There’s a sudden zip of sniper fire and WILFRED throws himself to the ground, landing closer to “TIM”’S HEAD. WILFRED raises his own head. 

WILFRED 

(To “TIM”’S HEAD) 

How close was that eh? 

No response. 

Owen – you are talking to a corpse. 

The sleet has slowed to almost nothing. WILFRED looks around him, pondering how to get out of the shell crater. He discovers that he’s holding on tight to his own identity disc. He turns back to « TIM »’S HEAD. 

WILFRED (CONT’D)

Right. Need your tag old pal. Let them know who you are. – Who you were. Right. 

WILFRED pulls himself nearer to his companion and reacts to the scene with disgust. He reaches gingerly into the iced bundle and tries to locate the dog tag. Finally, and with forensic caution, he takes hold of the head and lifts it up, looking to the neck area.

WILFRED (CONT’D)

Where is it, you maggot-ridden old devil? 

There’s a sudden loud explosion nearby – smoke and fragments everywhere. As the scene clears we find WILFRED thrown a few feet away from the body of “TIM”. WILFRED suddenly reacts with horror as he sees that his right hand is still inside “TIM”’s head. He tries to throw it away, shuddering with disgust as he slowly realizes that it is now stuck to him. After a struggle WILFRED gives up, frozen in shock. 

LATER 

“TIM”’S HEAD 

Moon looks nice. – Can you please get your hand out. Please? 

WILFRED 

I can’t. I’m sorry. 

“TIM”’S HEAD 

Pervert. Sleet’s stopped. – I said sleet’s – 

WILFRED 

I heard! – Sorry. 

“TIM”’S HEAD 

Trying to make conversation. Not easy you know. I’m – 

WILFRED 

Tim. I know. 

WILFRED has a sudden sharp itch. He goes to scratch it with his right hand. “TIM”’S HEAD 

Oi! 

WILFRED 

Sorry… 

“TIM”’S HEAD 

And pack that in as well… 

WILFRED 

What? 

“TIM”’S HEAD 

‘Sorry sorry sorry sorry…’. 

WILFRED is about to apologise. « TIM »’S HEAD silences him with a look. They rest in awkward silence as WILFRED tries to reach the itch with his other hand. 

WILFRED 

(to himself) 

Bastard lice. 

“TIM”’S HEAD stares back at him. 

“TIM”’S HEAD 

(to himself) 

Try maggots in the brain mate. Now that is an itch. 

They sit in companionless silence. It starts to snow. 

“Hymne pour une jeunesse au funeste destin” et autres poèmes

ROLAND BOUYSSOU
Wilfred Owen traduit par Roland Bouyssou

Hymne pour une jeunesse au funeste destin

Quel glas des agonisants° pour ceux-ci, abattus comme du bétail?
        — Seule, la canonnade monstrueuse et rageuse.
        Seule la fusillade bégayante, crépitante,
Peut marmotter en toute hâte leurs oraisons.

Point de mascarade en ce moment pour eux ; ni cloches ni 
    [prières;         
        Point de voix endeuillées, rien que les chœurs,
        Les chœurs déments, stridents, des obus gémissants,
Et les clairons qui les appellent du fond de provinces attristées.

Quels cierges tenir en signe d'au revoir à leur multitude?
        Non point dans la main de garçons, mais dans leurs yeux
Brilleront les pieuses lueurs des adieux.
        La pâleur du front des jeunes filles sera leur poêle, 
La tendresse de cœurs fermes dans la détresse leur gerbe de fleurs,
Et chaque lent crépuscule un store qu'on abaisse.°°

Étrange rencontre

On aurait dit qu’à l’écart des combats,
 Je descendais dans les profondeurs d'un morne tunnel
 Jadis excavé dans des granits
Que des Titans en guerre avaient burinés.

Et là, cependant, accablés, gémissaient des dormeurs
Trop enfoncés dans leurs pensées ou la mor
Pour qu'il fût possible de les tirer de leur torpeur.
Comme je scrutais ces corps, voici que l'un d'eux, le regard
Stupéfait, figé, de celui qui voit, apitoyé, une vieille connaissance, 
      [se  dresse
 En levant, comme pour bénir, des mains accablées de détresse.
À son sourire j'ai su quelle était cette lugubre demeure,
À son sourire mort j'ai su que nous étions en Enfer.

Des souffrances sans nombre marbraient ce visage de fantasme.
Toutefois, pas une goutte de sang ne filtrait jusqu'ici-bas,
Pas un seul canon ne tonnait, ne gémissait par les cheminées.
« Étrange ami, dis-je, il n'y a ici aucune raison de se lamenter. »
— « Aucune, dit cet inconnu, sauf sur l'avenir avorté,
 La désespérance. Ton espoir, quel qu'il soit,
C’était aussi ma vie; j'étais un chasseur fougueux
À la poursuite de la plus fougueuse des beautés au monde,
Qui ne repose ni dans un calme regard ni dans une tresse de cheveux,

Mais qui se moque du cours mesuré des jours;
De plus, si elle se désole, sa désolation est plus féconde qu'en ce 
    [séjour.
En effet, de mon allégresse le rire de beaucoup aurait pu se nourrir,
Et de mes pleurs quelque chose qui maintenant doit mourir
Aurait survécu. Je veux dire la vérité qu'on tait,
La grande misère de la guerre°, la misère que la guerre a sécrétée.
 Désormais, les hommes marcheront, satisfaits de notre butin,
Ou, insatisfaits, bouillonneront d'une rage sanguinaire, et
     [leurs débordements les perdront.

Ils seront vifs, d'une vivacité de tigresse.
Pas un seul ne quittera les rangs, bien que les nations s'écartent 
    [du chemin du progrès
À moi était le courage, et mien le mystère,°°
À moi était la sagesse, et mienne la maîtrise,
Pour éviter la marche de ce monde qui bat en retraite
En vain dans des citadelles sans remparts.
 Et après que des flots de sang auraient eu englué les roues de 
    [leurs chars,
Je les aurais lavées avec l'eau bienfaisante de puits d'où je 
    [serais remonté,
 Et même avec des vérités qui reposent trop profondément pour 
     [être impures.
J'aurais épanché mon esprit°°° sans lésiner,
Mais non par des blessures, non pas sur le cloaque de la guerre.
Des fronts sans blessures ont versé du sang.°°°°

Mon ami, je suis l'ennemi que tu as tué.
Je t'ai reconnu dans cette obscurité
À ce regard crispé qui hier m'a transpercé
Quand tu plantais ton fer et me tuais. J'ai cherché une parade,
 Mais les mains étaient hésitantes et froides.
Et maintenant, dormons... »

Fête des adieux

Par les sentiers secrets qu'envahit la pénombre
Ils gagnent en chantant le hangar de la voie de garage,
Et s'alignent le long du train, le visage empreint d'une sinistre gaieté.

Un semis de rameaux et de couronnes pare leur poitrine d'un 
     [plastron blanc,
Comme celle d’hommes, — morts.°

Apathiques, des porteurs les observent; insouciant, un clochard
Debout, braque dans le vide un regard de statue,
Regrettant de ne plus rencontrer ces hommes du camp 
    [sur la hauteur.

Puis, impassibles, des signaux acquiescent d'un hochement, et 
     [une lanterne
Fait un clin d'œil au chef de train.

Ainsi, en secret, comme un méfait qu'on n'ébruite pas, ils partent.
 Ils ne sont pas des nôtres;
On n'a jamais su sur quel front on les a envoyés,

Si, là-bas, ils se moquent déjà de ce que les femmes ont voulu dire
En leur donnant des fleurs.

Reviendront-ils jamais, salués par de grands carillons,
Par trains entiers, débordants d'exubérance?
Un petit nombre, petit, trop petit pour des ovations et 
    [des fanfares,
Furtivement, en silence, reviendra peut-être
À la fontaine du village
En gravissant des sentiers à demi-oubliés.

Notes du traducteur

Hymne pour une jeunesse au funeste destin 
Ce poème a été écrit au cours des mois de septembre et d’octobre 1917 à Craiglockhart où Wilfred Owen a bénéficié des critiques de Siegfried Sassoon.
° Allusion à une vieille tradition: la cloche de l’église du village sonnait le glas de l’agonie pour que les prières des paroissiens secourent le mourant. On sonnait autant de coups que d’années d’âge.
°° Les stores des fenêtres étaient baissés dès que le mourant avait rendu le dernier souffle. Le corps, entouré de cierges, recouvert d’un poêle et de fleurs, reposait dans le salon où parents et amis venaient s’incliner.

Étrange rencontre
Ce poème a été écrit à Ripon entre les mois de janvier et de mars 1918.
° Wilfred Owen reprendra cette expression dans son projet de préface aux poèmes.
°° Construction qui rappelle cette phrase biblique: « À moi la vengeance, c’est moi qui rétribuerai. » (Rom. 12/19).
°°° Allusion à Joël 2/28: « Après cela, j’épancherai mon Esprit sur toute chair. »
°°°° Allusion à la sueur de sang du Christ. Luc 22/44.

Fête des adieux
° Des femmes enthousiastes mettaient des colliers de fleurs autour du cou de soldats sur le départ ; et lors d’un décès on déposait des fleurs sur la poitrine du défunt.
La première esquisse, intitulée Départ de Troupes, date du mois d’avril ou de mai 1918. La version définitive a été rédigée à Scarborough au mois de juillet de la même année.

Wilfred Owen : Poèmes traduits par Emmanuel Malherbet

EMMANUEL MALHERBET
Wilfred Owen traduit par Emmanuel Malherbet

 Revue

«Toi, là! Ca veut dire quoi ?», j'ai braillé.
«Tu oses te montrer comme ça à la revue ?» «
Mais, Sir, c’est —» «La ferme!» a gueulé le sergent.
«Je prends son nom, Sir ?» — «S'il vous plaît, et rompez!»

Quelques jours de «consigne au camp», qu'il a eu,
Motif : «sale à la revue».
Il m'a dit, plus tard : cette sacrée tache,
C’était du sang, le sien. «Eh bien, j’ai dit, le sang est sale…»

«Le sang est sale…», il a ri, a regardé là-bas,
Là où de sa blessure le sang avait coulé,
Et presque à jamais s’était mêlé à la terre.
«Le monde fait sa lessive», il a dit.
«Il n’aime pas tout ce rouge à nos joues :
Le sang de la jeunesse lui déplaît.
Mais quand on sera morts, tous bien blanchis,
Ce sera Dieu, le Maréchal qui nous passera en revue».
                        Août - septembre 1917

À la jeunesse sacrifiée, une prière

Quel glas pour ceux qui tombent comme des bêtes ?
Que la furie monstrueuse des canons.
Que le bref crépitement des fusils bègues,
Bredouillant de rapides oraisons.
Ni prières ni cloches, plus de comédies,
Ni sanglots dans la voix – sinon les choeurs
Déments, les choeurs stridents des obus geignards ;
Et les clairons, qui les appellent de pays désolants.
Pour les accompagner tous, quels cierges tenir ?
Pas dans les mains des gars, dans les yeux
Brillera la sainte petite lueur des adieux.
Pour linceul le front pâle des filles.
Et les fleurs, le silence des pensées attendries,
Et les lents crépuscules des jalousies qu'on tire.
                                                        Septembre – octobre 1917
 Conscience*

Sur le bord du lit les doigts s’éveillent et s’agitent.
Un effort de volonté : les yeux finissent par s’ouvrir ;
L’aident à son chevet les fleurs jaunes du printemps.
Le cordon du store traîne au bord de la fenêtre.
Le sol tellement lisse de cette salle! Et quel tapis!
Qui donc parle là-bas que je ne vois pas ?
Trois mouches tournent sur la carafe luisante.
« Infirmière! Docteur! » – « Oui, voilà! voilà! »
Mais le soir d’un coup brasse et brouille l’air.
Trop tard pour demander de l’eau, on dirait.
L’infirmière paraît si loin. Ici et là de la musique
Et des roses émergent du sombre massacre.
Il ne sait plus où il a vu du ciel bleu.
Des couvertures ! Encore ! Il a froid ! Si froid ! Et si chaud !
Il fait noir : il ne voit pas qui parle à côté…
Trop tard pour demander – il ne sait quoi.
                           Janvier – mars 1918
                           * d’après la version proposée par l’édition Lewis
 Les appels

Une morne sirène enrauquée de brume miaule dans l’aube.
Je regarde le type qu’elle appelle, poussé, tiraillé,
En arrière, en avant, désarmé comme un pion.
          Mais je suis feignant, et ce qu’il fait sans raison.

Aigre et vive, la sonnerie de neuf heures,
Presse l’écolier qui remonte ses chaussettes,
Bouscule la môme attardée en blouse noire.
          Je dois être fou ; j’apprends chez les fleurs.

Dix heures, un triste carillon remue corneilles et colombes.
Je vois le bedeau fermer les portes, et quand
J’entends l’orgue geindre le premier amen,
          Je donne mes répons — comme ceux des pigeons.

Le clairon braillard écharpe mes soirs.
De gauches sections de Tommies piétinent
Tâchant d’aller au pas sur des airs de rag-time,
          Je ne bouge pas ; j’ai déjà fait l’exercice.

Sons et bourdons de gongs, couvercles de gamelles,
Je regarde un goinfre affûter ses crocs en or :
          Se taper moins de pain[1] que de bons morceaux.

Parfois tard dans la nuit la canonnade
Secoue les vitres, et mon pauvre coeur cogne,
Guette les sifflements d’obus, les déflagrations,
          Mais ce n’est pas tout

Car penché sur l’appui hier à minuit,
J’entendais des gars soupirer, qui ne savaient
Dire leur détresse, non, ni ne le voulaient!
          Je connais ces voix : je dois y aller.
                                                         Mai 1918

[1] Une campagne de 1917 demandait à la population d’épargner la nourriture : « Save the wheat and help the Fleet : eat less bread » (Épargnez la farine pour aider la flotte : mangez moins de pain).

Wilfred Owen: “Les Aliénés”

SARAH MONTIN
Wilfred Owen traduit par Sarah Montin

« Les Aliénés » (1918) 

Qui sont-ils? Pourquoi sont-ils ici, assis au crépuscule ?
Pourquoi se balancent-ils, ombres du purgatoire,
Langue pendante, mâchoires ivres de bave,
Montrant leurs dents qui lorgnent comme des crânes mauvais ? 
Coup sur coup, la douleur les caresse – Mais quelle panique lente
A creusé ces abîmes autour de leurs orbites inquiets ?
Toujours de leurs cheveux, de leurs paumes
La misère sue. Nous somme morts, sûrement, 
Et somnambules, nous marchons en enfer : mais qui sont ces damnés ? 

— Ce sont les hommes dont l’esprit a été ravi par les morts. 
Le souvenir des meurtres : des doigts frôlant leurs cheveux,
Des meurtres innombrables dont ils ont étés témoins
Pataugeant dans les bourbiers de chair, ils errent impuissants,
Piétinant le sang des poumons qui aimaient rire.
Toujours ils doivent voir ces choses, les entendre,
Le fracas des canons, les muscles volés en éclat,
Carnage incomparable, gâchis humain
Trou trop obstrué dont ils ne peuvent s’extraire. 

C’est pourquoi, torturés, leurs globes oculaires reculent
Dans leur cervelle, car sur leur iris
Le soleil semble une trace de sang ; la nuit tombe noir-sang :
L’aube s’épanouit comme une blessure qui s’ouvre encore.
Ainsi leurs visages hilares, hideux, portent
L’affreuse fausseté des cadavres souriants. 
Ainsi leurs mains se pincent, se cherchent entre elles,
Grattant les nœuds des knouts qui les flagellent,
Essayant de nous saisir, nous qui les avons affligés, mon frère,
De nous effleurer, nous qui leurs avons distribués la guerre et la folie. 

«  Mental Cases » (1918)

Who are these? Why sit they here in twilight?
Wherefore rock they, purgatorial shadows, 
Drooping tongues from jaws that slob their relish, 
Baring teeth that leer like skulls' teeth wicked?
Stroke on stroke of pain ‒ but what slow panic,

Gouged these chasms round their fretted sockets?
Ever from their hair and through their hands' palms
Misery swelters. Surely we have perished 
Sleeping, and walk hell; but who these hellish?
‒These are men whose minds the dead have ravished. 
 Memory fingers in their hair of murders,
Multitudinous murders they once witnessed.
Wading sloughs of flesh these helpless wander,
Treading blood from lungs that had loved laughter. 
Always they must see these things and hear them,
Batter of guns and shatter of flying muscles, 
Carnage incomparable, and human squander
Rucked too thick for these men’s extrication.

Therefore still their eyeballs shrink tormented 
Back into their brains, because on their sense 
Sunlight seems a blood-smear; night comes blood-black; 
Dawn breaks open like a wound that bleeds afresh. 
Thus their heads wear this hilarious, hideous, 
Awful falseness of set-smiling corpses.
Thus their hands are plucking at each other;
Picking at the rope-knouts of their scourging; 
Snatching after us who smote them, brother, 
Pawing us who dealt them war and madness.

La fleur et le chardon: Wilfred Owen’s Franco-Scottish influences.

NEIL MCLENNAN

Keywords
Wilfred Owen, Patrick Geddes,Albertina Dauthieu, France, Scotland, Franco-Scottish, Edinburgh, Milnathort. 

Abstract
Thus far studies of Owen have followed similar, well-trodden paths sharing Sassoon’s. influence. McLennan uses Geddes’ sociological model to re-examine Owen’s life and influences (see notes 1-3 below). This paper analyses “folk” (people) around Owen with specific Franco-Scottish connections via two cases studies. Francophile Patrick Geddes and his protégée Arthur John Brock, were initial instigators of Owen’s significant 1917 poetic writing. Secondly, Owen’s little discussed meetings with Albertina Marie Dauthieu, a Frenchwoman living in Scotland, provide fresh insightss to Owen’s life.

Résumé
Les études sur l’œuvre d’Owen se sont bien souvent rapprochées de celles des influences de Sassoon. McLennan se fonde sur le modèle sociologique de Geddes pour étudier la biographie et les influences d’Owen. Cet article se penche sur les « gens » qui autour d’Owen appartenaient au réseau Franco-Ecossais : le Francophile Patrick Geddes et son protégé Arthur John Brock, donnèrent tous deux un élan singulier à la création poétique d’Owen en 1917 ; et Albertina Marie Dauthieu, une française qui vivait en Ecosse, et dont la relation avec Owen (peu explorée jusqu’à présent) nous offre un nouvel éclairage sur la vie du poète anglais.

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A key assertion of this analysis of Wilfred Owen is that his Craiglockhart doctor, Dr Arthur John Brock, and Brock’s correspondent and mentor, the Francophile Professor Sir Patrick Geddes, were prime influencers in Owen’s poetic development.[4] The thinking behind the socio-medical approaches Brock took with Owen and other patients at Craiglockhart came from Geddes. It was Geddes who inspired the “ergotherapy” approaches which Brock used with shell-shocked officers at Craiglockhart, and which led him to stimulate Owen to compose poetry again. Both Geddes and Brock had connections with an enlightened socio-cultural set in Edinburgh.  Brock introduced Owen to many of these thinkers and creative minds, some of whom were Geddes’ personal connections and friends, some of whom  had a distinctive Franco-Scottish feel.  Owen’s poetic and personal development will undoubtably have owed something to this enlightened group Geddes and Brock had formed and nurtured.

Owen’s first task when in Edinburgh was to visit Outlook Tower, Geddes’ museum to mankind, and write an essay on it.  Geddes bought the building in 1892 and created a museum based upon his philosophy of “Think Local, Act Global,” a phrase attributed to him by David Barash in 2002, and also his fascination of man’s replication of environmental life and how it influences man. Visitors to Outlook Tower started at the top of the tower, where they surveyed the local area around them as if from a camera’s and viewpoint.  There are stories of Geddes encouraging visitors to run to the top so that they were physically, as well as mentally, energised.  Thereafter, visitors progressed through the museum which led them through the local area, the region, the country, Europe and then the wider world.  Geddes said: “How many people think twice about a leaf? Yet the leaf is the chief product and phenomenon of Life: this is a green world, with animals comparatively few and small, and all dependent upon the leaves”.[5]  Geddes compared everyday living and world events to the interactions between plants and their environments. Geddes, through Brock, stimulated Owen’s most productive and powerful poetic period, starting with an essay on the Outlook Tower.  Today, the poetry emanating from that first writing tasks, is still used to promote peace and denounce war. 

Owen met other figures in Edinburgh who helped develop his ideas and his writing as well. He was to describe his “education” in Edinburgh as “a free and easy Oxford” (Bell 268).  As he entered its elite socio-cultural set of the day, Owen noted: “I might if I want become mildly lionized by Edinburgh society” (Bell 279) and “a better mode of life than this present I could not practically manage” (Bell 272). The impact of Edinburgh was clear on Owen.  He  wrote of “the charm of Edinburgh, and all the love it has thrown at me” (Bell 278). By the time of his discharge from Craiglockhart War Hospital by a  Medical Board  he noted “I am beginning to have aching sensations at being rooted up from this pleasant Region” (Bell 287). Owen’s capitalisation of “Region” is significant, as it is a word he only used in one other of the Collected Letters, on 21October 1915.  This was the day he joined the army, and “region” referenced his locality as opposed to the broader, sweeping term of the word for a wider area.[6]  Being “rooted up” is also of interest as this links directly to Geddes’ assertion that men, like plants, are influenced by the environment – both by the soil around them and by the surrounding organisms which might be likened to people. Amongst those people influencing Owen, in this fertile learning environment, were two Edinburgh inhabitants who had strong Franco-Scottish connections.

“By Leaves We Live” Professor Sir Patrick Geddes

It is not known if Owen ever met Professor Sir Patrick Geddes in person.  However, we know of the influence Geddes had on Dr Brock’s treatment plan for Owen, which allowed Owen space and time for thinking and to focus on poetry and writing. Without Brock’s treatment, we might not have seen the powerful poetry we now associate with the First World War. Owen was to meet many other figures who indirectly influenced his poetry, expanded his ideas and contributed to an intellectual enlightenment which Owen had hoped to experience at university. Unfortunately, circumstances, including the war, never allowed him to experience higher education. Nevertheless, Edinburgh and this socio-cultural circle enhanced his broad general education. Those contributing to Owen’s enlightenment were from an eclectic mix of Edinburgh individuals. Many of them, but not all, were linked to Dr Brock and Geddes’ social, cultural and intellectual networks.

Geddes was born in Ballater in 1854, son of Alexander and Janet Geddes. He was to become an internationally known polymath and enlightened figure with impacts on the fields of botany, sociology and town planning. His influence extended from Scotland to France and India.  He is less well known in Scotland these days, although revered elsewhere. Despite his vast intellect, he never finished any degree. Whilst studying with Thomas Henry Huxley in London between 1874-77, a period of illness necessitated his leaving London. Geddes  was encouraged to visit the French town of Roscoff in 1878.  A year later, the University of Aberdeen opened the Scottish Zoological Station, a marine observation station at Cowie, Stonehaven. An appointment there was one of Geddes’ first jobs. Either Stonehaven, Roscoff or one of Geddes’ childhood homes on the River Tay, inspired his “Valley Section”. The idea joined topography with people’s lives: hill, farm and sea with the various roles attached be it miner, woodman, hunter, shepherd, peasant, gardener or fisherman.[7] The Valley Section showed the complex interaction and relationships between this physical geography and human settlement and activity. 

The same can be said of Owen’s poetry, with many people and places impacting on it as much as the experience of soldiering and warfare itself.   Moreover, Owen benefited greatly from Geddes’ idea of regional survey.  Whilst a patient at Craiglockhart, Owen was a member of the Field Club. He took part in active outdoor surveys of the region. Surveying botany, brought about his “Do Plants Think?” lecture. Exploring the locations where Robert Louis Stevenson’s writing was inspired led to teaching Tynecastle School students about Stevenson in the places where he wrote. All of this was part of Owen’s “ergotherapy” recovery from shell-shock.  It had been during Geddes’ time in Roscoff in 1878 that he met with an interdisciplinary group that inspired him: scientist Louis Pasteur, economist and cooperative movement advocate Charles Gide, historian and education reformer Ernest Lavisse, and Frédéric Le Play disciple, Edmond Demolins.  Geddes’ regional survey was in part borrowed from Le Play’s concept of studies of a region.  This enlightened group formed Geddes’ ideas. This process of osmosis continued with ideas influencing and nurturing his own disciples’ ideas (such as Brock) and they in turn influencing others (such as Owen).  What we see is an enlightened education ecosystem[8] and informal socio-cultural knowledge transfer system between people who have perhaps not even met.

Owen benefited from his time spent in Scotland where he became at one with nature and benefited from the university type education to which he had aspired but not achieved. Part of that intellectual group in Edinburgh was formed by Geddes who brought people together and created spaces for cross-disciplinary and international learning. As well as establishing Outlook Tower, Geddes also established university halls in Edinburgh as self-governing hostels, which were also areas of knowledge and cultural exchange between international students. In 1895 the prolific Francophile also set up the Franco-Scottish society in Edinburgh. 

Scotland and France were strongly connected.  In the era of Geddes and Owen, Britain and France had joined in “Entente Cordial”.  “The petite entente” dated back to  1295.  The “Auld Alliance” still resonated strongly, intellectually and culturally if not militarily through Great War geopolitics. Siân Reynolds  describe Geddes’ activities as “comparatively unobserved”, both in France and Scotland.  However, “with only a little exaggeration, it can be argued that the Geddes networks were among the most significant and thoroughly integrated of Franco-British contacts at the time” (Reynolds, 82). Geddes fostered those cultural ties, from attending the 1889 Paris Exhibition through to forming the Collège des Écossais in Montpellier in 1924, and with many cultural, intellectual and educational exchanges in-between. 

Geddes’ archives show him to be a prolific correspondent with many figures across the world and on many topics. Furthermore, a band of dedicated followers corresponded with him and were influenced by his thinking. The foundations for Owen’s Edinburgh enlightenment had been set before he arrived anywhere near Scotland.  Geddes’ work, long before Owen was even born, laid the foundations for the progressive liberal treatment, “re-education”, and indeed cultural education which Owen received whilst in Edinburgh. Geddes’ pre-war letters to Edinburgh physician Arthur John Brock helped shape Brock’s thinking which resulted in the new approaches to treat the broken men who were shell-shocked. On 20 August 1910 Brock wrote one of his many letters to his mentor figure Geddes. However this one was different.  As well as the letterhead, a new word appeared at the top of the letter, written in block capitals and written over many times so that the word stood out.  That word was: “ERGOTHERAPY”.  This was the start of Brock’s pioneering “therapy by work” approach,  which  he  pioneered.  It  was  the  foundations  for  later thinking in what we now call Occupational Therapy.  Brock  believed  that  cures  were  to  be  found in activity and work.[9]  Whilst other Owen biographers have talked of Geddes’ impact, none have cited this all important correspondence which provided the eureka moment that led to groundwork to be set for Owen’s own thinking.  Geddes is not cited in Potter (2014), is only indexed on two pages in Dominic Hibberd (2003); Guy Cuthbertson (2014) has one indexed reference to Geddes and Stallworthy (1974) has not indexed references to the Edinburgh Francophile.

Nevertheless, it was no coincidence that Owen’s first writing task on being admitted to Craiglockhart War Hospital was to visit Geddes’ Outlook Tower and write an essay on it for Dr Brock.  This again seals the role of Geddes in creating the inspirational spark, albeit indirectly.  Geddes gave Brock the medical inspiration, and gave Owen a site of learning[10] when he first arrived in Edinburgh alongside a readymade enlightenment group to connect with. Whilst Geddes did not appear on the list of those Owen wrote should receive a copy of his first collection of poems, no less than 5 of the 21 names were part of the Geddes/Brock social-cultural network: Dr Brock, Dr Sampson (Astronomer Royal) Miss Wyer (later chairperson of Geddes’ Outlook Tower), Mrs Gray (Edinburgh socialite and artistic set), Mrs Fullarton (teacher Tynecastle School) and a further two were people Owen met in Edinburgh.  Thus a total of a third of the names Owen valued enough to be gifted a copy of his first edition were from his “Edinburgh enlightenment”.[11]  Two further names on the list were direct France connections from Owen’s time in France before the war: Johnny de la Touche and Laurent Tailhade.  The impact is clear to see by the proportionate break down of this list by location and part of Owen’s life.  Edinburgh was the site of Owen’s enlightenment.

A piece of evidence in the “Geddes inspired Owen” Franco-Scottish case study is of interest.  Having visited Outlook Tower for his essay task, Owen penned his first Edinburgh written poem “The Ballad of Lady Yollande”. Whilst biographers note its Walter Scott influence (Stallworthy 1983, 472) many have overlooked French connections. Yolande of Aragon is the granddaughter of Margaret of Anjou, an important character in Scott’s Anne of Geierstein. The other characters of Owen’s poem come from other Scott works are Baron Oberon features in Rokeby, a Shakespeare incarnation perhaps and with Sir Lance the Gay and Sir Price the Prince both worthy of further research.  Scott letters show that the abbey tower of Kelso, a modern mansion of Fleurs, form together a kingdom for Oberon and Titania.  Owen had visited Kelso first in 1912 on a family holiday and came across Sir Walter Scott’s work again.  This is another area ripe for further enquiry.  Owen first noted Scott when he saw his work in the British Library in 1911 (Bell 24). Owen found Scott’s writing “absolutely illegible”, however it is clear that Scott becomes a recurring feature in Owen’s thinking, especially when in Scotland. For now, the Ballad of Lady Yollande begins with perhaps Owen being taken into the bosom of care he received both from France and Edinburgh:

 My Ladye owed a stripling lad
 Unto her privie page.
 Though five and ten he scantly had,
 Both stalwarte was and sage;
 And in his sarlette sylke y-clad,
 Was the flower of her equipage. 

Owen’s writing marathon had now begun.  He used the pseudonym “Mustard Seed” when writing in the Hydra, the Craiglockhart War Hospital publication.[12]  A literary link perhaps with previous Hydra contributors including pseudonym Peaseblossom; but also as in the Gospel of St. Matthew (13:31-32), Owen developed from the smallest of seeds to the mighty tree of the English anti-war literary canon, albeit not seeing his ultimate success.  Like mustard, there are two definitive types, English and French. Owen met many people and fused ideas and people together to form the man and poetry he is known for.   

Owen’s writing marathon had now begun.  He used the pseudonym “Mustard Seed” when writing in the Hydra, the Craiglockhart War Hospital publication.[12]  A literary link perhaps with previous Hydra contributors including pseudonym Peaseblossom; but also, like Matthew 13:31-32 Owen developed from the smallest of seeds to the mighty tree of English literature anti-war canon, albeit not seeing his ultimate success.  Like mustard, there are two definitive types, English and French. Owen met many people and fused ideas and people together to form the man and poetry he is known for.    My Ladye owed a stripling lad Unto her privie page. Though five and ten he scantly had, Both stalwarte was and sage; And in his sarlette sylke y-clad, Was the flower of her equipage.

The Flourishing, Albertina Maria Dauthieu The Thistle and the Rose. 

Having looked at two Franco-Scottish influenced figures, about whom we cannot say with certainty Owen ever met, the next study is perhaps more straight-forward though under reported. Owen certainly met Albertina Dauthieu, though this meeting seems to have been virtually written out of history. First and foremost , it is often assumed Owen remained within Edinburgh when he was a patient at Craiglockhart War Hospital in 1917. However, Owen and fellow Craiglockhart patient Siegfried Sassoon did travel beyond the city boundary. Sassoon travelled to Glasgow (Sassoon wrote from Grand Central Hotel in Glasgow), North Berwick (where he played golf) and possibly also St Andrews (the Craiglockhart Hospital magazine, The Hydra, told of golfing trips being arranged for St Andrews, and Sassoon wrote a poem about golfing there). An account of Owen’s visit to Milnathort assumes he was stationed at the nearby Kinross military camp.[13]  In searcg if ebtertainment, it seems that both Sassoon and Owen traveled north of Edinburgh, over the Forth Bridge following the northward direction of Queen Margaret and many pilgrims before, into the Kingdom of Fife in central Scotland. Possibly traveling by train, as railway maps of the time show a direct route, the two officer-patients arrived at the Thistle Inn, Milnathort, some 30 miles north of Edinburgh. The connections between the patients and the inn in Milnathort, Fife, are unclear.  It is possible there may have been an Edinburgh connection as the Dauthieu family had lived in Edinburgh.[14]  It may even have been simply the fact that Milnathort Golf Course sat right next to the Thistle Inn they visited in Milnathort and this was, initially at least, a Sassoon sojourn.[15] The course had been established in April 1910, its location offering ease of access from Edinburgh, Perth and Glenfarg.[16] Recent information gives a further insight into why Sassoon and Owen were perhaps drawn to the Thistle Inn. Its owner and head  chef, Albert Dauthieu not only brought French cuisine to Scotland but did so in style. Dauthieu had been trained by the celebrated chef, August Escoffier in Paris and then moved to the Savoy in London before taking on a number of hotels across Scotland, including this one at Milnathort.  There can be no doubt that Albert’s cooking could have been a welcome treat away from the hospital food at Craiglockhart, which was documented to have been mediocre at best.

Whatever the reasons for the poets’ Milnathort visit, Owen’s meeting with the Inn owner’s daughter, Albertina Dauthieu sheds fresh light on his sexuality.  Owen’s visits to Milnathort also allow us to understand more about one of Owen’s lesser known poems, “The Ballad of Many Thorns”. 

Owen’s two most recent biographers, Guy Cuthbertson and Jane Potter, do not mention Owen’s meetings with Dauthieu in Milnathort. The names do not appear in the indexes. Dominic Hibberd’s book of 1992, a focussed account on Owen’s last year, including his time as a patient in Scotland did not mention the event. The only account of it amongst Owen’s biographers comes via Jon Stallworthy (1974). Even then, the episode takes up less than one page of a three hundred and thirty-three page account of Owen’s life. Full details of Owen’s visit offer insights, as does his returning to see her more than once. This significant omission is of interest. Stallworthy, even in mentioning the meeting, did not share all his research notes. The full account would have painted a fuller picture than that which his book gives.

Stallworthy notes that Sassoon and Owen would sometimes go for a drink and meal to “The Thistle” pub in the main street of Milnathort (Stallworthy 1974, 231). There is certainly evidence that the officer poets visited this former coaching inn, however that they both visited many times is speculation. Stalworthy notes reveal that, “he [Owen] came back once or twice to borrow my [Dauthieu’s] photograph album and he came to say goodbye”.[17] Stallworthy notes Owen “evidently delighted” by the publican’s “good French name and ‘his wife’s good French cooking’” (Stallworthy 1974, 231). Stallworthy records “one night” when they moved into the parlour to sing songs with a Cameron Highlander playing the piano. Stallworthy notes Sassoon speaking with the Colonel, whilst Owen sat in the window seat talking with the publican’s 19 year-old daughter, Albertina Marie Dauthieu. He noted that she thought him “gay and charming” (although there is no implication of this being a homosexual reference, considering the use of the word “gay” at the time). Nevertheless, Stallworthy does nothing to inform readers of the exchange in that window seat. This omission leads to a continued mono-narrative of Owen and homosexuality. Stallworthy only notes Owen not talking of his war experiences, only of the “good fortune of meeting Sassoon” and that he was helping him with his work (Stallworthy 1974, 231). According to Stallworthy, Albertina took this as a refence to his soldiering, only later to realise this misunderstanding. Stallworthy finishes his very short account of their meeting and dialogue with the fact that Owen had taken her autograph book and that he took it away, later bringing it back (again this is unclear) with the song they had sung together:

 
 And so I’ll have my posy
 Of the fairest flower that blows
 Embower’d by The Thistle
 And accompanied by a Rose 
(From In Merrie England (1902) written by Basil Hood and composed by Edward German according to Stallworthy (174: 231))
 

Stallworthy ends his description of events on this, never returning to it and never giving it analysis. However, a deeper dive into the archives reveals Stallworthy’s research notes and various correspondence with Dauthieu.[19]  These give a fuller insight to the episode and leave us asking questions as to why it was muted by Stallworthy when he first shared the Owen-Dauthieu meeting, and then never written about again by other biographers.  A narrative of Owen and “homosexuality only” has arisen and formed as the established Owen narrative for many. Firstly, this came via Owen letter collector, Professor Joseph Cohen. He felt there was a “conspiracy of silence” around Owen and homosexuality and sought to prove what Robert Graves had alluded to in an American edition of his Goodbye to All That: Owen as an “idealized homosexual”. Then the idea of Owen as a homosexual is reinforced by one of Owen’s biographers.  Potter notes that Hibberd “categorically states, in his 2002 biography, that Owen was ‘gay’ ” albeit she states there is “no historical evidence of any sexual encounter” (Potter 124). Hibberd certainly explicitly identifies Owen as homosexual.  He states “One claim often made about Owen is undoubtably true…. He was gay” (Hibberd 2003, xxi). This certainty has now seeped into the narrative. Owen is now identified as both a celebrated war poet but also a celebrated homosexual (Shephard 90 and 93). Hibberd cites as proof of this “the abundant evidence in his writing of a strong homoerotic impulse” (Hibberd 2003, xxi) although he also states that evidence of sexual relationships is “less obvious” (Hibberd 2003, xxii). It may be worth considering that Hibberd ascribes homosexuality elsewhere in his Owen biography without detailed evidence.  Laurent Tailhade is described as “almost certain bisexual or gay” (Hibberd 2003, 168) and Captain Sorrel is described as “perhaps gay” (Hibberd 2003, 283) without any further evidence.  Hibberd uses “perhaps”, “probably” and “could be” many times in the text. One example of it counters Hibberd’s main evidence plank for Owen’s homosexuality. Hibberd declaires, “His [Owen’s] sexuality, central to his writing…” (Hibberd 2003, 346). It is another example of presumptions, maybe even poetic licence, as opposed to facts in writing the story of Wilfred Owen.  On the same page Hibberd notes that his poetry “would be driven by love for men” (Hibberd 2003, 346). Assumptions can take primacy without detailed evidence presented to turn them into fact.  Hibberd makes no mention of Owen’s visits to Dauthieu in Milnathort, despite it featuring in the biography of Owen published before Hibberd began writing on him. A review of Owen’s meeting with the French woman Dauthieu helps to give a further view on Owen’s life, demonstrating his engagement with females and their strong admiration of him.

Dauthieu wrote to Stallworthy in an undated letter, “It was such a tragedy that he should lose his life at the very last and makes one think of the verse:

 Your life is like a little winter’s day
 Who’s[20]  sad sun rises late, to set too soon
 You have just come, why will you go away
 Making an evening of what should be noon?[21] 
 Your life is like a little flute complaining
 A long way off, beyond the willow trees
 A long way off, and nothing left remaining
 But memory of music in the breeze
  
 Your life is like a pitiful leave taking
 Wept in a dream before a man’s awakening
 A Call with only shadows to attend
 A Benediction whispered and belated
 Which has no fruit beyond a consecrated
 A consecrated  silence at the end”.
 

Dauthieu notes these words from Hilaire Belloc who lived near Dauthieu’s Sussex home at the time of her correspondence with Stallworthy.  The letter closes with directions to her house. 

Stallworthy met Dauthieu, and started their meeting by saying, “I hope you won’t think of this as an ‘interview’, far less an ‘interrogation’, but simply a gentle talk about a ‘mutual friend’, whom I unfortunately know only through his writings. You must remember that it is a rare privilege for me to talk to someone who really knew Wilfred”.[22] 

Dauthieu clearly did know Wilfred well, and she was particularly keen to see and use a picture: “this happy photo of him”, but that she cannot find or source.  She clearly has vivid memories of Wilfred and his visit.

A follow up letter to Stallworthy notes that he sent her a typescript of the meeting. In it Dauthieu noted that he forgot Madame Sergeants’ remembrance of lives and encloses a xerox paper cutting (although that is not in the archive file today).  Dauthieu has written to a librarian to search for a book which contains “this happy photo of lives” and has written to a second hand book seller and author but he could not help. She hoped to find the picture as, “I think the picture is very necessary – it shows him so happy”. Another letter states “I must get the other photograph because it will show you the Wilfred as he showed himself to me- kind- gentle- sensitive & with me I felt, happy”.[23]

In the same letter she states, “he didn’t propose to me, but he was the only man who wrote me such charming verses I have long mourned their loss”.  In another letter she noted “I do wish your book every success and regret I could not show you the full poem he wrote for me so long ago”.

However, on another sheet of paper she encloses the last verse and asks, “if you should ever find the two others – one line of which runs ‘an lily flower of la belle France’ – will you promise to give me a copy?”  The only verse we thus know of Owen writing to Dauthieu is:

 and so I’ll have my posy
 Of the fairest flower that blows
 Embower’d by the thistle
 & accompanied by a Rose 

Stallworthy’s notes of the meeting suggest Dauthieu found Owen to be “charming, gentle and lively company” and “in no sense a tragic figure”. His typewritten scripts show Dauthieu recalling:

 Owen sitting beside me…. He asked me a lot of questions about myself on which subject there was really nothing to tell except I wasn’t very old for my age and even less clever.  He didn’t seem to mind and asked me shyly if I were ‘promised’ or engaged- and to my horror just as he said this there happened one of those sudden silences in the general talk [presumably of the others in the bar that night and around the piano] and his question was heard by everybody.  I hastily said “no” and someone called, “Not yet”, which made me blush.[24]

This specific part of the episode, the detailed discussion between the two did not make it into Stallworthy’s biography nor the fact Owen returned many times and, in particular, returned to say goodbye to Albertina Dauthieu. The implication of a closer bond is there but is not in the narrative of Stallworthy (1974) or other biographers thereafter.  It is possible that the writing out of such episodes, and highlighting and inferences on Owen’s other relationships, with men in particular, has allowed for a particular “mono-homosexual” narrative to form.  As we can see from this evidence, that narrative is perhaps in need of revision and light could be shed on Owen’s close female connections.  We might also consider why this episode does not appear in Owen’s letters.  If they are noted in the ones destroyed or redacted, why might that be?  It may be the case that Owen did not want to share his most intimate relations with females with his most regular female correspondent, his mother – Susan Owen.

A letter from Alan Denson to Harold Owen in 1968 offers some clues on reductions and removed letters.[25] Denson writes “I was rather tickled by your admission of guilt about excisions from the holograph of the letters.  Naughty, naughty! – and as you rightly say you cannot now see why you could have imagined any of the parts deleted here reprehensible.  Poor kid, in his letters having an outlet for repressed sensuality –  that uncomfortable twin to spiritual potential! (Have you read Cezanne’s letters?  He (sic) poor fellow suffered all his long life from living in the realms of sense”.[26]  The destroyed and redacted letters of Owen are for another article. There is much more to consider and research here, especially in light of the above.

Fresh finds:  Owen’s Franco-Scottish fiancé[27]

The Dauthieu family (McLennan Pers. Corr. 22 July 2020) noted that Albertina, as per the tradition in France at that time, took her name from her father.  She was a stylish, attractive French lady and later travelled the world whilst connecting with “the good and the great”.  In letter correspondence with this author it was noted:

My sister’s take on the Marie – W.O. relationship is that there was [an] H.L.I. officer heavily involved with Marie when W.O. appeared on the scene.  Her understanding was that W.O. was infatuated with Marie and approaches the said officer and told him that if he did not make it back from the front then he, W.O. would ask Marie for her hand!  I suppose these were strange days with a soldier’s life expectancy measured in days, strange things were said and done. (McLennan Pers. Corr. 22 July 2020)

In follow up conversations it has become apparent that Albertina was betrothed to two men – Wilfred Owen and the H.L.I. officer (later enquiries reveal this to have been 2nd Lt James Miller M.C. , 6th Bn. Cameron Highlanders from nearby Dollar. Cameron was killed on 11th March 1918 aged 28 years old).   

At the time of Owen meeting Dauthieu and in the post war era of Stallworthy’s enquiries this was seen as an embarrassing state of affairs and, as such, it was not shared.  However, the family are content for this information to be shared as it helps to shed light on the events of the time.  Stallworthy had sight of correspondence between Albertina Dauthieu and Wilfred Owen however it was all burned after her death (Pers. Corr.). 

Further dialogue with the family helps garner further information which alters what we know of Owen’s poetry.  It reveals that Owen had written a poem for Albertina’s sister.  It is believed that “The Ballad of Many Thorns” may have been written about the sister – Rose – as opposed to Albertina herself.  Rose was also regularly in the Inn when officers were enjoying the venue’s hospitality and convivial nature.  Rose was deaf and dumb and the officers took her on as an almost mascot figure in the locality (McLennan Pers. Corr. 22 July 2020).  Rose had an autograph book which contained the names of many of those who visited the Inn during this era including Lord Allanby and Forbes McKenzie. That autograph book has now been gifted to Edinburgh Napier University’s War Poets Collection, in addition to another artefact, an Imperial War Museum invitation to a war poetry event, extended to Albertina Dauthieu by Jon Stallworthy. These items may help to shed light on this Franco-Scottish connection of Wilfred Owen’s that has lain unshared for over a century. Owen’s meetings and correspondence with Dauthieu allows us an insight into Owen’s heterosexual activity.  Whilst it does not eliminate homosexual inferences, it does allow some further nuanced understanding of the man. How that impacted on his poetry is for further papers and analysis.

By simply shedding light on Owen and his connections via a Franco-Scottish lens on his time in Edinburgh, one can see some new angles worthy of consideration, whilst developing fresh perspectives on Owen the man and Owen the poet.  We can see more about his intellectual development and socio-cultural and personal relations, with poetry forming with each of them and in Dauthieu’s case, poetic lines shared with her and inspired by her.  Owen was to pen “The Ballad of Many Thorns” inspired by his trips to The Thistle, and “the Rose”, according to Stallworthy (Stallworthy, 1983:122), was supposedly Albertina Dauthieu whom Owen met there.  We can however now see that the “Rose” was specifically taken from Rose Dauthieu.  The poem places The Thistle in the context of wounds received walking through fields and “the barb of Iron”.  It even shares an episode of joviality, wine and “wind ups” which may well have been taken from the episode Dauthieu described to Stallworthy. The location of the Thistle Inn is also placed in the poem, for the Inn was book ended by two churches, and a manse, at either end of the street. “There hung near by a Jesus” was more than accurate in Owen’s Ballad.  Most of all, Owen closes the poem with the pain of meeting Dauthieu and then having to leave:

 Then cried the gentle Poet:
 ‘Not one among ye knows:
 The cruelest [sic] thorn I know
 For having kissed the Rose.’ 

In conclusion, scholarship of Wilfred Owen has followed a familiar path for many years with established narratives forming. Owen’s time in Edinburgh has been largely overlooked by biographers thus far and shedding light on it opens up new knowledge. [28]  Whilst Owen’s time in France is well documented, fusing Owen’s two sites of poetic inspiration and work allows for fresh consideration of the poet and his life and love. During his time in Edinburgh, Owen connected with a socio-cultural set which included a number of Franco-Scottish influences.  In some cases there are direct links, in other cases more scholarship is needed to make a direct connection between them, or to tease out  links and influences in Owen’s Brock-Geddes facilitated Edinburgh network.  However, there are some direct links and those are revealing.  Francophile Patrick Geddes provided the “ergotherapy” conditions for the most significant period of Owen’s thinking and writing.  The seed was planted and truly did blossom.  Between a fifth and a quarter of his poems and manuscripts were written in, updated in or inspired by Owen’s time in Edinburgh. These included, arguably, his most significant: “Anthem for Doomed Youth” and “Dulce Et Decorum Est”. Furthermore, all the poems published in his lifetime come from this time.[29]  Finally, in the list of people to receive a copy of his published poems, Franco-Scottish influences come to the fore. 

Scotland provided a bridge between Owen’s pre-war and wartime France experiences and his return to Britain.  In Edinburgh, Owen flourished in a social cultural set beyond that of Sassoon. Furthermore, he met with Frenchwoman Albertina Dauthieu, even if most Owen biographers fail to mention these meetings. This demonstrates the need for more scholarship on Owen for this paper has shown that further investigation of these seemingly innocuous interactions opens new paths of enquiry which may alter our perceptions of Owen on his life, loves and writing .  We can add another tier of influencers and impacts on Owen from La fleur (Geddes providing the seeds of thinking) to et le chardon (Dauthieu meeting Owen at her family-run Thistle Inn). Owen’s use of Mustard Seed as a name is apt as he hoped to flourish just as the plants he studied came to life. In Owen’s meetings with Albertina Dauthieu it seems he certainly did flourish. This evidence may challenge extant mono-narratives of Owen and homosexuality.  Hopefully more scholars “will grasp the thistle”[30], to open more knowledge on Owen in Scotland, and the strong Franco-Scottish influences on his life and writing. 

Works cited

Bell, John. Wilfred Owen: Selected Letters.Oxford, Oxford University Press, 1985.

Cohen, Joseph. “Owen Agonistes”, English Literature in Transition 1880-1920, January 1 1985, 1:5, pp 253-268.

Cuthbertson, Guy. Wilfred Owen. New Haven and London, Yale University Press, 2014.

Hibberd, Dominic. Wilfred Owen: The Last Year 1917-1918. London, Constable, 1992.

– – – Wilfred Owen: A New Biography. London, Phoenix, 2003.  

Pittock, Murray, Enlightenment in a Smart City: Edinburgh’s Civic Development 1660-1750. Edinburgh, Edinburgh University Press, 2019.

Potter, Jane. Wilfred Owen: An Illustrated Life. Oxford, The Bodleian Library, 2014.

Shephard, Ben. War of Nerves: Soldiers and Psychiatrists 1914-1994. London, Jonathan Cape, 2000

Siân, Reynold. Paris-Edinburgh: Cultural Connections in the Belle Epoque. London, Routledge, 2016.

Stallworthy, Jon. Wilfred Owen. Oxford, Oxford University Press, 1974.

– – – Wilfred Owen: The Complete Poems and Fragments. Chatto and Windus, London, 1983.


[1]McLennan, N 2018a, ‘Six o’ Clock in Princes Street: An analysis of Wilfred Owen’s Edinburgh ‘re-education », Proceedings of the Society of Antiquaries of Scotland, vol. 148, no. 2018, pp. 333-351.[ONLINE] DOI: HTTPS://DOI.ORG/10.9750/PSAS.148.1256

McLennan, N 2018b, ‘Regeneration, re-education and an anthem for peace: Insights for education from the re-education of Wilfred Owen during his 1917 convalescence at Craiglockhart War Hospital’ British Educational Research Association Blog. [ONLINE] DOI: HTTPS://WWW.BERA.AC.UK/BLOG/REGENERATION-RE-EDUCATION-AND-AN-ANTHEM-FOR-PEACE

McLennan, NDR 2018c, ‘War Poets’ Trail’ History Scotland, vol. 19, no. 3, pp. 27.

McLennan, NDR 2018d, ‘Wilfred’s Walk: Princes Street, Edinburgh (2)’, Wilfred Owen Association Journal, vol. 2018, no. 1, pp. 20-24.

McLennan, NDR 2018e, ‘‘Owen and Sassoon’s Strange Meeting Reconsidered?’’, Siegfried’s Journal, vol. 33, pp. 10-16.

McLennan, NDR 2017a, ‘War Poet’s Walk: Princes Street, Edinburgh’, Siegfried’s Journal.

McLennan, NDR 2017b, ‘Wilfred’s War’ History Scotland, vol. 2017, no. 4, pp. 48-48.

McLennan, NDR 2017c, ‘‘Wilfred’s Walk [1]: Princes Street Edinburgh’’, Wilfred Owen Association Journal, vol. 2018, no. 1, pp. 20-24.

McLennan, NDR 2016, ‘Edinburgh’s Pentland Hills: Wilfred Owen’s ‘Oxford University », Wilfred Owen Association Journal, vol. 2016-1, no. 1, pp. 14-17.

McLennan, N 2010 ‘A Very Special English Teacher: Wilfred  Owen  and  the  Lost  Boys  of  Tynecastle  High School’, Western Front Association Journal – Stand To!  88

[2]McLennan 2018a, McLennan N, 2017d, Wilfred Owen’s Edinburgh Enlightenment, Royal Society of Edinburgh Lecture, Craiglockhart, Edinburgh, 15 August 2017 https://www.rse.org.uk/event/wilfred-owens-edinburgh-enlightenment/; McLennan N 2017e War Poets Meeting Holed in One: Wilfred Owen, Siegfried Sassoon and Robert Graves at Baberton Golf Club, 1917, Pentland Book Festival, Baberton Golf Club, 13 October 2017.

[3]McLennan, 2018a

[4]2018a

[5]Patrick Geddes 1854-1932, National Library of Scotland website https://www.nls.uk/learning-zone/politics-and-society/patrick-geddes

[6]Wilfred Owen to Susan Owen, 21 October 1915, “I am two minutes from the Headquarters. Only 3 minutes from Imperial Hotel and 5 from Waverley, in I am at home in the region.”  (Bell, 167).

Also of note, Owen’s letter from Tavistock Square on 27 October 1915 sees him ask his copy of Tailhade: Poèmes Aristophanesques (Paris, 1904) to be sent to him from his bookcase.

[7]www.patrickgeddestrust.co.uk/valleysection.htm

[8] The Edinburgh Owen experienced was not all that different from the “smart city” Professor Murray Pittock described during the era ascribed as “Edinburgh’s enlightenment” with Owen influenced by the professions, arts, taverns and social meeting places, books and newspaper reading and production. 

[9]“Ergotherapy”  letter  is  in  the  University  of   Strathclyde Geddes collection: T-GED 9 General Correspondence  9/939.  Further  correspondence between Geddes and Brock can be found both in the University of Strathclyde archive and also the Patrick Geddes archives at the National Library of Scotland.

[10] Owen also had a Geddes published book in his library from his time in Edinburgh.  Victor Branford (1913) St Columba (Edinburgh). Stallworthy (1974) notes this book in Appendix C but the omission of the full title and publisher impacts on researchers. The full reference should read Branford, Victor (1913) St Columba: A Study of Social Inheritance and Spiritual Development (Patrick Geddes and Colleagues, Outlook Tower, Edinburgh and More’s Garden, Chelsea). 

[11]McLennan, (2018a)

[12]McLennan, N (2017) RSE lecture shared the premise that “Mustard Seed” name in The Hydra was Owen.

[13]Stallworthy typed noted of Dauthieu visit Saturday 8th August 1971 (Oxford University, uncatalogued)

[14]Dauthieu, Albert, chef, 10 Brunton Place, Edinburgh (1911-12 Edinburgh and Leith Postal Directory)

https://digital.nls.uk/directories/browse/archive/84312404?mode=transcription

[15] National Library of Scotland maps online: Fife and Kinross Sheet XVIII.SW (includes: Kinross; Orwell)
Publication date: 1919   Date revised: 1913 https://maps.nls.uk/view/75633142

[16] Milnathort Golf Course history:- http://milnathortgolfclub.co.uk/history.html

[17]Stallworthy typed noted of Dauthieu visit Saturday 8th August 1971 (Oxford University, uncatalogued)

[18]From In Merrie England (1902) written by Basil Hood and composed by Edward German according to Stallworthy (174: 231)

[19] Research notes are kept at Bodelian Library, University of Oxford [Stallworthy (11875) 13- Dauthieu folder]

[20] Note, this appears as ‘whose’ in Belloc’s text.

[21] Note, the ‘?’ Does not appear in Belloc’s text.

[22]Dauthieu to Stallworthy (undated letter) in Owen archive, Oxford University [Stallworthy (11875) 13- Dauthieu folder]

[23] Dauthieu to Stallworthy (undated letter, possibly 8 August 1971) in Owen archive, Oxford University [Stallworthy (11875) 13- Dauthieu folder]

[24] Stallworthy typed notes of interview with Dauthieu (8 August 1971) in Owen archive, Oxford University [Stallworthy (11875) 13- Dauthieu folder]

[25]Alan Denson to Harold Owen, 22 March 1968, University of Oxford (uncatalogued).

[26]Alan Denson to Harold Owen, 22 March 1968, University of Oxford (uncatalogued).

[27] Over 100 years after Owen’s meeting with Albertina Dauthieu, the author of this paper worked with Dr Alan Walker MBE to trace her family. This has led to new insights into her life and relationship with Wilfred Owen.  Following McLennan’s 2017 find of the venue where Owen, Graves and Sassoon met together, Alan Walker supported the search for Siegfried Sassoon’s golfing partner that day, which led to the poetic meeting. Two years later, Walker again supported McLennan’s research, this time tracing some possible living Dauthieu family members.  Contact from McLennan in the past year has now led to new light being shed on Owen’s life and love.

[28]McLennan, 2018a

[29]McLennan, N 2018, “Six o’ Clock in Princes Street: An analysis of Wilfred Owen’s Edinburgh ‘re-education”, Proceedings of the Society of Antiquaries of Scotland, vol. 148, no. 2018, pp. 333-351. [ONLINE] DOI: HTTPS://DOI.ORG/10.9750/PSAS.148.1256

This article updates on the Wilfred Owen Association website states that Owen had published four poems in his lifetime and the British Library website suggests five published works before his death in 1918. His biographer Dominic Hibberd also said that five were published in his lifetime.   However, further analysis of his poems written in and after his time in Edinburgh’s Craiglockhart War Hospital shows that a total of six poems were published in Owen’s short lifetime: “Song of Songs” (The Hydra, Craiglockhart War Hospital Magazine, 1 September 1917); a fragment of a poem in Owen’s editorial, which possibly later made up the poem “The Dead-Beat” (part of editorial of The Hydra, 1 September 1917); ‘The Next War’ (The Hydra, 29 September 1917); “Miners” (The Nation, 26 January 1918); “Futility” (The Nation, 15 June 1918) and “Hospital Barge” (The Nation, 15 June 1918) of his poems being published during his time in Edinburgh.   

[30]“Grasp the nettle” is a British saying which means to tackle a difficulty boldly.


Neil McLennan is Senior Lecturer and Director of Leadership Programmes at King’s College, University of Aberdeen.  He is a former President of the Scottish Association of Teachers of History and was Head of History at Tynecastle High School in Edinburgh – the school Wilfred Owen taught at in late 1917 as part of his recovery from ‘shell-shock’.  Neil has researched Wilfred Owen’s time in Edinburgh over the past two decades and was Chairman of “Wilfred Owen’s Edinburgh 1917:2017” – a significant series of public engagement events commemorating the war poets being in Edinburgh.  Neil also lectured in Ors as part of the 100th anniversary commemorations of Wilfred Owen’s death.  Neil was appointed an honorary member of the Wilfred Owen Association in 2017. 

Poems: “Wilfred Owen at Ors”

DAMIAN GRANT

Dear Friends

'Once more unto the trench, dear friends, once more:'
And so they did, and so they did again;
And so they died, so many of them, for
Their country, and these friends, their countrymen.

Eight hundred thousand poppies flower
Below the walls of London's Tower;
Each heavy, cold, ceramic head
Commemorates one of the dead.

Owen among them, at the last. And he
Had understood the wounded things we are;
Transcending visions of futility
For that strange meeting, like a pietà.                   

The war to end wars never will be won.
Antagonism grinds its agonies.
But when, dear friends, the hurly-burly's done,
We should do something to atone for these.

The band of brothers marches from the play
To keep the bleak apocalypse at bay.
For Peter Owen 

died 31 July 2018

How often have I stood beside you not
ten yards from Wilfred's gravestone, as you read
'Futility' or 'Spring Offensive' to
those gathered in the cemetery; then
interpreted as best I could the words
you found to say to them: your uncle would
have been amazed to see us there for him,
and grateful still to France. Now you have gone
(though peacefully) down the same deepening slope
to infinite space; for what renewal,
who knows. What we do know is that you have
lived out a life for him; not his life, but
a kind of echoing, a giving again
of what he gave and gave himself for: words
you savoured and re-said for us, for us
the better to remember both of you.
Pour Peter Owen

Traduction de Madeleine Descargues-Grant

Que de fois je me suis trouvé à tes côtés, tout près
de la tombe de Wilfred, alors que tu lisais
'Futilité' ou 'Offensive de printemps' pour
les amis rassemblés au cimetière... Puis
j'interprétais de mon mieux les mots
que tu trouvais à leur dire: ton oncle aurait
été stupéfait de nous voir réunis là, pour lui,
et reconnaissant à la France, toujours. A présent tu es parti
(paisiblement, sans doute) toi aussi sur les pentes qui se creusent
à l'infini; est-ce pour renaître, et sous quelle forme,
nul ne le sait. Mais nous savons que
tu as vécu ta vie intensément pour lui; ce n'était pas sa vie,
c'en était comme un écho, tu redonnais
ce qu'il avait donné, faisant don de lui-même: les mots
que tu savourais et redisais pour nous, pour que nous
nous souvenions mieux encore et de lui et de toi.
The Forester's House

Thanks to you, Wilfred, we have all been there,
to 'The Smoky Cellar of the Forester's House.'
We can hear someone snoring on the bench,
and smell the damp wood struggling to take
under the saucepan of potatoes: peeled
to splash your hand—this letter—with what might
well be the tears your mother weeps on it
in ten days' time. We can attempt to peer
through the thick air at Kellett, Keyes the cook,
and nameless others jostling for space
with nudges, pokes and jolts; we can make out
the merry corporal, by candlelight
'a gleam of white teeth and a wheeze of jokes.'
We cannot see you, pressing on your pad
the last words you will ever write. 'It is
a great life;' huddled with your band of friends,
impervious somehow to the glimmering
of guns outside, the crashing down of shells.
'There is no danger here.' But you are ready
to go with them, tomorrow and tomorrow,
into the deepening chasm of the canal.
Wilfred Owen at Ors

We have our own poet, Wilfred Owen,
here in the village of Ors in northern France.
The village lives along the slow canal
tucked under Bois l'Evêque; the railway
(steel scorning water) goes for higher ground.
The nearby military camp has closed.
There is a bare, unbeautiful brick church,
a sober Mairie and a Salle des Fêtes;
one café, a new médiatheque, a school.

And of course the leafless cemetery.
Because our poet is a dead poet,
enlisted in that pale battalion
of young men buried with their mystery.
Owen delivered up his mastery
at the eventual, exhausted end
of a seemingly unstoppable war
that devastated like a lava flow,
travelling unnaturally over the flat land.

He was also an English poet, who
mused a long hour by Shrewsbury clock;
bred to the seamed, compacted language
of Keats and Shakespeare. But he had travelled
in other realms of gold; it was at first
the carefree troubadours took him to France;
then teaching; then the deep trench of the war.
In January nineteen seventeen
he suffered the extremes of fire and ice.

The war might end, but no-one speaks of this.
The Manchesters hunker down in Bois l'Evêque.
Lieutenant Owen writes a letter to
his mother Susan (it will be the last
of some six hundred that he wrote to her).
'There is no danger here;' nor was there, in
the cellar of the red-brick Forester's House—
now kept for him, and for those gathered there.
The danger waited at the cold canal.

He died in water but now lies in earth,
here with the men who fell with him, at Ors.
He hated war but gave himself to it
in the unswerving sleepwalk of the time.
November twenty eighteen signifies
a hundred-years-long lamentation for
an English soldier who went out into
the morning mist for his strange meeting with
the poet who sleeps now as one of us.

We have remade the Forester's House
in ghostly, moonlit white (as if it grew
out of his gravestone), and furnished it
with Owen's words; those words that understand
the wounded things we are. Whoever drives
down the straight, narrow road from Landrecies
through Bois l'Evêque to Pommereuil today
will ask who lives there. Tell them it is where
our own dead poet lives his afterlife.

Damian Grant’s poetry and poetry reviews have been published in the London Review of Books, Critical Quarterly, and PN Review. He edited the Critical Quarterly Poetry Supplement 11, Poetry 1970 (Manchester University Press), and his other published works include: D.H. Lawrence: State of the Art (1989), and Realism: The Critical Idiom (2017). He has furthered scholarship on War Poetry with numerous articles published in both English and French.

Wilfred Owen: A War Poet’s Progress in France From Bagnères-de-Bigorre to Ors

ROLAND BOUYSSOU

Keywords
Bordeaux, Jules Romains, Laurent Tailhade, Henri Barbusse, mystery of God’s love and man’s suffering, compassionate humanism, tragic hero.

Abstract
From his youth up, Wilfred Owen was fond of France, its language and people. He was 15 when his father took him to Brittany, about which he wrote in a postcard to his mother: “everything is delightful. It is a pleasure to speak to the people here they are so affable. I am easily understood, but can make nothing of what they say” (to Susan Owen, 14 June 1908). Two years later, he mentioned “his scheme of getting a thorough knowledge of French in France” (18 June 1911). That project was fulfilled in September 1913 when he went to Bordeaux to teach English at the Berlitz School of Languages. From then on his ties with France will never be broken: he decided to join up while he was in France, fought in France and died there. Though written in Great Britain, his war poems are likewise rooted in and nurtured by France. Our purpose is to trace here the war poet’s progress from Bagnères-de-Bigorre to Ors.

Résumé
Dès sa jeunesse, Wilfred Owen aimait la France, sa langue et ses habitants. Il a 15 ans lorsque son père l’emmène en Bretagne, dont il écrit dans une carte postale à sa mère : « tout est délicieux. C’est un plaisir de parler aux gens ici, ils sont si affables. Je suis facilement compris, mais je ne peux rien faire de ce qu’ils disent » (à Susan Owen, 14 juin 1908). Deux ans plus tard, il évoque « son projet d’acquérir une connaissance approfondie du français en France » (18 juin 1911). Ce projet se concrétise en septembre 1913 lorsqu’il se rend à Bordeaux pour enseigner l’anglais à l’école de langues Berlitz. Désormais, ses liens avec la France ne seront plus rompus : il décide de s’engager alors qu’il est en France, combat en France et y meurt. Bien qu’écrits en Grande-Bretagne, ses poèmes de guerre sont également enracinés et nourris par la France. Notre propos est de retracer ici le cheminement du poète de guerre de Bagnères-de-Bigorre à Ors.

___________________

            At first sight, Wilfred Owen’s stay in the Bordeaux area seems to be of little interest for the study of his war poems. In fact, the tender sensitivity, imaginative faculty and gift for musicality characteristic of his mature poetry are dormant, waiting to grow and flourish. Indeed, the aftershock of his experience in the trenches will prove to be not a complete break, but a new departure. Although he was unaware of it, his stay in Bordeaux was a prelude to his war poetry.

            When he arrived in France, Wilfred Owen was twenty, still immature, a Mother’s son tethered to her apron-strings and a fledgling poet in search of mastery and wisdom. In spite of his recent, frustrating experience as a parish assistant in Dunsden, Oxfordshire, his spiritual life, nurtured by his mother, remained deep-seated and intense. He might have rebelled against a vacuous clergy, but had not recanted his faith in God. Talking of the poet Shelley, he wrote to his mother: “Because the religion he had met with was hollow, it does not follow that no religion is solid… It exists none the less… Only I haven’t met it –yet” (to Susan Owen, 29 January 1913). This “yet” will find its realization later in France with the experience of war. In Bordeaux Wilfred Owen was already in search of a loving God and a religion of loving kindness. He was and will remain deeply religious, even after turning away from the Church. The mystery of God’s love and man’s suffering will remain at the core of his war poetry. In prewar France he was already in search of a God of pity.   

            Early in life, Wilfred Owen had experienced many disappointments, particularly his failure to afford a university education after being accepted at the University of London. Whereas most of the future war poets were being educated in public schools and Oxford or Cambridge, he was struggling by trial and error to acquire a literary culture. That first stay in France proved to be a literary crucible.

            Wilfred Owen was a versatile reader both in French and English. Victor Hugo, Gustave Flaubert, Alfred de Vigny, Anatole France, Théophile Gautier, Alfred Noyes, Ernest Renan, Paul Verlaine and Laurent Tailhade, are mentioned in his letters. It seems his knowledge of French was quite good, as his translations of poems by Henry Spiess or Laurent Tailhade, and his poem in French “Nous ne nous fions pas à la multitude d’une armée” testify. Later on his choice of “Le Christianisme” or “À Terre” as titles to war poems show his lasting interest in French. In the Bordeaux area he was also struggling to acquire some skills in poetry writing by imitation, for he had no contact with literary circles. His art was still immature and bogged down in what he called “my poesy, my poethood” (“Tom Tit”). His diction was ornate and made up of clichés such as: “a rosy, beauteous hill”, “the whine of violent violins … with majesty and dolour”, “its skin…odoured like the pale, night-scented flowers” (“Impromptu”).  But the musicality of his verse was already subtle and his war poetry will prove to be the most melodious of all; moreover his experimentation with pararhyme, later on used in many war poems, was started in Bordeaux as early as September 1913. On the back of a draft of a fragment, “The Imbecile” (Bordeaux 1913), he dabbled with consonantal rhymes. Did he come across La Vie Unanime (1908) by Jules Romains? Did the French poet’s “assonance” open the way to Wilfred Owen’s pararhyme?

A lonely, self-made poet, cut off from the literary life in England he was to discover later on at the Poetry Bookshop in London, Wilfred Owen was enthusiastic when he met a flesh and blood writer, Laurent Tailhade, a cult figure, at Bagnères-de-Bigorre.  Actually, the two poets had little in common — apart from their homosexuality —: Tailhade was an eccentric, a libertarian, a swashbuckler, whereas Wilfred Owen was a shy, conventional, thinking young man. Tailhade’s extravagant manner in Poèmes Aristophanesques was unlikely to appeal to Wilfred Owen; but the languid mood of Poèmes Elégiaques was in tune with Owen’s sentimentality and lyricism.  It seems that Laurent Tailhade, unlike Siegfried Sassoon two years later, did not become a cult figure for Wilfred Owen, but at that period of his life that encounter was felt as a breakthrough into the exclusive circle of poets.

While he was in France, Wilfred Owen’s progress in poetry writing may not have been remarkable, but he developed his knowledge of human beings. While his contemporaries at universities were acquiring a bookish culture, he was a student at the university of life. He met people from all walks of life, rich and poor, happy or miserable, rough or sophisticated. Of all the war poets, he will be the only one with an early experience of suffering; that acquaintance with the human soul confronted with adversity or tragedy will prove one of his distinctive features.

            When the war broke out, Wilfred Owen was in Bagnères-de-Bigorre and he had to decide whether to join up or stay out. He did not share in the gung-ho enthusiasm of early volunteers in England. However, in “A New Heaven”(1916) he exalted the fame of the dead, and in “The Ballad of Peace and War” (1914) he glorified self-sacrifice:

Oh it is meet and it is sweet
 To live in peace with others,
 But sweeter still and far more meet
 To die in war for brothers. 

Later on in the war poems, this readiness to die will be bitterly debunked in “Dulce et Decorum Est”. But “Greater Love” and “At a Calvary near the Ancre” will invite the soldier to “lay down his life” for others, and turn that conventional dream into actuality. Although he was unaware of it, that patriotic cliché foreshadows his commitment to self-sacrifice, that will lie at the core of his war poems.

            In Bagnères-de-Bigorre Wilfred Owen got an inkling of the “actualities of the war” (to Harold Owen, 23 September 1914), and, when he visited a makeshift hospital in a Lycée in Bordeaux where wounded French and German soldiers were “being treated without the slightest distinction” (to Harold Owen, 23 September 1914), he witnessed an example of brotherhood, a feeling which will be at the core of the war poems.

              His decision to enlist was taken in Bordeaux, after long hesitation and mature reflection. To him, enlisting meant dying on the battlefield. Self-denial was already present in his letters from Bordeaux, as if it were an intimation of self-sacrifice, later on the central theme of his war poetry. He was faced with this dilemma: should he live on for the sake of poetry or die for his country? On the one hand, as he was convinced he was called to be a poet and prophet, he was inclined to keep away from the war: “My life is worth more than my death to Englishmen” (to Susan Owen, 2 December 1914); on the other hand, he thought that our Western civilization was threatened and it was his duty to shed his blood for its defence. Should he serve his country as a poet or as a soldier? He will end up being both a soldier and a poet.

            In Bordeaux he felt more and more guilty: in a letter to his brother Colin (August 1914) he wrote: “I feel shamefully ‘out of it’ up here, passing my time reading the Newspapers in an armchair in a shady garden”. And a few months later, he added: “I suffer a good deal of shame” (to Susan Owen, 2 December 1914). His enlistment will come as the answer to a call, the call to be a saviour: “I thought of the thousand redeemers by whose blood my life is being redeemed” (to Susan Owen, 8 December 1914). This hint at Christ in December 1914 anticipated the war poems “Greater Love” and “At a Calvary near the Ancre”. So “the best way –the only Way”– was to meet 

 […] the need
 Of sowings for new Spring, and blood for seed. (“1914”) 

The three years spent in France were a time of expectancy. At the end of his stay, Wilfred Owen was still far from being a mature poet, but, unconsciously, seeds of his war poetry had been sown. Not only had he enlisted, but traits of his war poetry were dormant in his early, tentative verse. His art still lacked inspiration and substance; it was like a sapling, on which the experience of war will be grafted.

            During his fourteen months’ training in England with The Artists Rifles Wilfred Owen had the opportunity to meet contemporary writers. However, those encounters did not transform his art. But as his letters from the Front will testify, the fire and brimstone of the war will shatter his mind, soul, and nerves. They will also wreck his “poesy and poethood”.

             On January 1st, 1917, he was dispatched to the Somme front line. At first, on his way to Halloy, near Beaumont Hamel, he felt enthusiastic and wrote to his mother: “There is a fine heroic feeling about being in France, and I am in perfect spirits. A tinge of excitement is about me, but excitement is always necessary to my happiness” (to Susan Owen, 1 January 1917). But a week later, he had entered “the abode of madness” (to Susan Owen, 19 January 1917) and “universal perversion of Ugliness” (4 February 1917). His letters give a first-hand account of his nerve-breaking experience. Now, the fact they are letters, and not diary entries, brings in far more feeling. They convey a yearning for love and pity, not to be found in Le Feu by Henri Barbusse, nor in Siegfried Sassoon’s The Old Huntsman and Other Poems, nor in Edmund Blunden’s Undertones of War. When describing the horror of lying “marooned on a frozen desert […] in the snow under the deadly wind” (4 February 1917), Owen is craving for his mother’s affection. He continued, “The intensity of your Love reached me and kept me living. I thought of you and Mary [hia sister] without a break all the time”.  Wilfred Owen was not just a witness; his letters were a lament, which anticipated to his elegies. An undertow of misery runs through these accounts of trench warfare; he compared the Front line to “a Sector of Hades” (to Susan Owen, 4 April 1917) to “the eternal place of gnashing of teeth” (19/01/17), “ Gehenna”, “Inferno “ (9/01/17), “Babylon the Fallen”, “The fires of Sodom and Gomorrah”, and wrote: “I have suffered seventh hell” (16/01/ 17). 

            His torment also urged Wilfred Owen to reconsider his attitude to war and God. Like most soldiers in the trenches he started questioning the purpose of a slaughter “without a definite object for carrying on” (to Susan Owen, 4 April 1917). His soldiery spirit was sapped and he became “a conscientious objector with a very seared conscience” (16 May 1917). More important still was his new approach to God. We remember he broke away from the Church when he left Dunsden. In the trenches he turned to Christ: to a kind loving Christ. In May 1917 he wrote to his mother: “Christ is literally in no man’s land. There men often hear His voice: Greater love hath no man than this, than a man lay down his life — for a friend”. And he added: “One of Christ’s essential commands was: Passivity at any price! … be killed; but do not kill” (16 May 1917). This new approach to religion will be at the core of the war poems.

            No doubt, the impact of the war on Wilfred Owen was tremendous: Not only were his nerves shattered; his poetic self was so to speak shell-shocked. He was compelled to reconsider his duty and his faith; the war experience purged his mind of daydreaming, self-pity, and the hollow cult of Beauty and Love. The war, not France, caused that sea change. But it is on its soil that a new poetic shoot was grafted on a sterile stock.

            At Craiglockhart, Wilfred Owen, shell-shocked, overwhelmed by dreadful memories, was torn between exultation and depression. He recalled both his “extraordinary exultation in the act of slowly walking forward” through the barrage at Fayet (to Colin Owen, 14 May 1917) and his “having endured unnameable tortures in France” (to Mrs Bulman, 1 July 1917).

            Wilfred Owen was physically in Scotland, but mentally in France, as his “disastrous dreams” (to Susan Owen, 2 September 1917) testified. He was longing for tranquillity, but it was in vain that in “From my Diary, July 1914”, drafted in November 1917, he sought refuge in some nostalgic evocation of the pastoral scenery he had known at Bagnères-de-Bigorre. From then on, France and the war are one; and their trauma keeps haunting his memory. His war poetry will arise from aftershocks, from emotions recollected in agony – not remembered, but recollected, that is to say processed into verse by the poet’s mind, sensibility, imagination and craftsmanship.

            At Craiglockhart Wilfred Owen did not completely give up his previous “poesy and poethood”, and strangely enough carried on writing poems in the same arty-crafty manner. But, if he wanted to voice his war experience, a new manner had to be tried. Fortunately, he met Siegfried Sassoon who was breaking new ground with the publication of The Old Huntsman and other Poems. Indeed, the trench poets were compelled to break away from conventional war poetry exemplified by Henry V, “The Charge of the Light Brigade”, The Dynasts or Rupert Brooke’s sonnets. Siegfried Sassoon’s factual and satirical verse showed that soldier poets were capable of telling the truth and voicing their feelings. However, Wilfred Owen retained his personality: whereas Siegfried Sassoon’s painful memories sprang into rebellion and satire, with Wilfred Owen, they gave birth to sorrow and lamentation, which does not mean that he could not equal his master. “Inspection”, “The Dead-Beat”, “At a Calvary near the Ancre”, “Dulce et Decorum est”could have been written by Siegfried Sassoon. But it is in elegies that Wilfred Owen excels, and even his satirical poems retain a plaintive mood. His agony inspires him not so much anger as compassion. He remains the poet of grief.

            Thanks to Siegfried Sassoon, Wilfred Owen read Under Fire by Henri Barbusse. He owned a copy in French. Though written in prose and in the shape of a journal, Le Feu (1916) exemplifies the characteristics both poets were seeking to achieve in their poetry, that is to say a realistic, “anti-souvenir” (to Susan Owen, 25 February 1917) testimony, combined with a heart-rending lament and the exposure of heroic fallacies. Le Feu was a template in prose for what they aimed to achieve in verse, – with a difference. Le Feu is the angry outburst of a fiery pacifist, whereas Wilfred Owen’s poetry is the lament of “a seared conscience” (to Susan Owen, 16 May 1917) and scorched nerves. Henri Barbusse is looking forward to the utopian advent of some sort of humanitarian peace between nations, whereas Wilfred Owen is concerned with a doomed mankind under the sway of Evil and Death.

            His elegies are a universal requiem, not for heroes, but “tragic heroes”, as they can be found in ancient Greek tragedies. Wilfred Owen was not acquainted with Greek literature; and yet his poems “raise pity and fear, or terror, and purge the mind of those and such-like passions”, to paraphrase Aristotle’s Poetics with the words of John Milton in « Samson Agonistes » where human agony is accompanied by an existential agony. Most war poets are concerned only with their experience in the trenches. Wilfred Owen, probably because of his religious upbringing, probes into the tragic mystery of the human condition, and more precisely, the mystery of human suffering. If war is the subject of his poetry, Evil is its theme. He sees Evil not as an instigator to sin, but as the mysterious Power intent on tormenting mankind; Wilfred Owen’s tragic war hero is not unlike Job in his misery. Hence a spate of agonizing questions: why, Wilfred Owen asks in “Futility”, were mankind and earth created? What happens after death? “Shall life renew these bodies?” he asks in “The End”. At the core of this existential agony is the absence of a kind God: “The love of God seems dying” (“Exposure”), “God seems not to care” (“Greater Love”). God seems to be a ruthless murderer, in the image of Abraham in “The Parable of the Old Man and the Young”, or a sadistic torturer in “Soldier’s Dream”.

            Then in his hopelessness, Wilfred Owen turns away from“Field-Marshal God” (“Inspection”) to “the gentle Christ” (“At a Calvary near the Ancre”). Now “the gentle Christ” is not the Christ worshipped by “pulpit professionals” (to Susan Owen, 16 May 1917), who preach self-sacrifice for the country, but ignore His commandments: “Love your enemies”, “Greater love hath no man than this, that a man lay down his life – for a friend” (to Susan Owen, 16 May 1917). It is a commonplace for war poets to identify the soldier on the battlefield with Christ on Golgotha, and Wilfred Owen wrote: “Christ is literally in no-man’s land. There men often hear His voice” (to Susan Owen, 16 May 1917). But Wilfred Owen’s Christ is not divine, nor is He a Saviour, nor does He raise the Dead (“The End”), nor does he rise from the dead. He is a secular Christ, the icon of brotherhood, compassion and love. Wilfred Owen has now met the God of pity he was longing for in Bordeaux. In his existential agony, Wilfred Owen became a prophet of compassionate Humanism.

Those sixteen months in Scotland and England before returning to the front line proved to be an annus mirabilis. Let us remember that earlier on, in the Bordeaux area, Wilfred Owen was in search both of poetic mastery and spiritual certainty. Now, he had acquired both; his genius was full-blown and “a terrible beauty is born”, to use words of W. B. Yates, a poet of a generation earlier but much of whose poetry is contemporaneous with Owen’s.  

Throughout the war poems, France remains a hidden, underlying presence, a subsoil surfacing in the choice of two titles in French – “Le Christianisme” and “À Terre” – and in two place names: Cérisy and the Ancre. But for Wilfred Owen that country was the land of “the pity of war”. For that reason, France called him back in « The Calls » (1918) for example:

I heard the sighs of men, that have no skill
 To speak of their distress, no, nor the will!
 A voice I know. And this time I must go. 

In 1915, Wilfred Owen had longed to be a saviour of Western culture and a redeemer of mankind; in 1918 his second enlistment was dictated by humane values only. Driven by his new faith in “greater love”, Wilfred Owen felt he was called to bring a light, “a little candle” (to Susan Owen, 30 July 1917) to his fellow sufferers in the dark. And it is as a champion of Love that he chose to return to the Front. “I came out in order to help these boys – directly by leading them as well as an officer can; indirectly, by watching their sufferings that I may speak of them as well as a pleader can” (to Susan Owen, 4 October 1918). “I go among cattle to be a cattle driver” (31 August 1918) and “a Shepherd” (to Siegfried Sassoon, 1 September 1918). He did not pretend to be a saviour, not even a rescuer, but a helper. His new presence in the trenches was a natural follow-through to his elegies. His war poetry not only recalled the past, but it also looked ahead to his second and last stint in France.  His self-sacrifice was foretold in “Greater Love” or in “At a Calvary near the Ancre”.  His presence in the trenches with his fellow sufferers was the fulfilment of his poetry, and his death in France put the seal of authenticity on both his life and verse.

             Wilfred Owen had realized that exposing the pity and absurdity of the war while staying safely away in England could be a fraud. Therefore, he chose to follow the promptings of his heart, and to share in the misery of men marching to their death in France. Wilfred Owen’s death can be described as the martyrdom of a conscientious objector. There is holiness in that self-sacrifice, and those dead are elevated to sainthood. That is why “Weep, you may weep, for you may touch them not” (“Greater Love”).

From Bordeaux to Ors, Wilfred Owen’s progress is tied to France, its land and literature. Not only did he live, fight and die in France, but the seeds of his elegies were unwittingly sown in Bordeaux; then they grew, bruised and buffeted, on the Somme battlefield; their blossoming in England was nurtured with painful memories from France; but, sadly, it was wrecked on the “killing fields” of France. France did not make Wilfred Owen’s poetic genius, but without France, he would not be the greatest of English war poets. Wilfred Owen is a son of England, and France his second motherland.

Bibliography

Hibberd, Dominic, Owen, the Poet, London; Macmillan, 1986.

Wilfred Owen: The Last Year, 1917-1918, London; Constable, 1992.

Wilfred Owen: A New Biography, London; Weidenfeld & Nicolson, 2002.

Stallworthy, Jon, Wilfred Owen, London; Oxford University Press, 1974.

Great Poets of World War 1: Poetry from the Great War, New York; Carroll & Graf, 2002.

Cuthberson, Guy, Wilfred Owen, New Haven and London; Yale University Press, 2014.

Roland Bouyssou, emeritus professor, is the author of Les Poètes-combattants anglais de la Grande guerre (Toulouse: Université de Toulouse Le Mirail, 1974). He has translated many of the war poets into French, publishing an anthology of their poems in translation in 2008 (Anthologie des poètes de la Grande Guerre, Éditions Universitaires du Sud).

Monsieur Owen en Aquitaine

GILLES COUDERC

Keywords
Wilfred Owen, Bordeaux, Bagnères-de-Bigorre, Pyrénées, Pic-du-Midi-de-Bigorre, 1913-1915, Laurent Tailhade, Société Ramond, Ernest Renan, proficiency in French, misogyny, astronomy, French Romantics, Catholicism  

Abstract
This paper focuses on the two years which Wilfred Owen spent in France, in Bordeaux and the Pyrénées between September 1913 and September 1915, and on the consequences of this experience on his personal and artistic development, as can be detected from his letters and poems. The paper will highlight three features in this important chapter of Owen’s own Bildungsroman: the invention of a new figure, Monsieur Owen, “the man of the world” as underlined by Guy Cuthbertson; Owen as the Romantic poet fascinated by Science and Owen tempted by Catholicism in his complex relationship with the Christian dogma. 

Résumé
Cet article se concentre sur les mois que Wilfred Owen passe en France entre septembre 1913 et 1915 à Bordeaux et dans les Pyrénées et sur ce qu’ils apportent à son développement personnel et artistique, tel qu’il se reflète dans ses lettres et ses poèmes. Dans ce chapitre essentiel de son roman de formation, on soulignera trois faits saillants : l’émergence d’un nouveau personnage, celui de Monsieur Owen, « l’homme du monde » comme le dit Guy Cuthbertson dans sa biographie d’Owen ; la confirmation de son image de poète romantique fasciné par les sciences et la tentation du catholicisme dans ses rapports complexes avec la religion. 

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Obéissant à une vieille tradition qui veut que le dernier jour de l’année soit celui où l’on passe en revue celle qui s’est écoulée, Wilfred Owen, alors à Scarborough en attente de son retour au front, fait le bilan de sa courte existence dans une lettre à sa mère datée du 31 décembre 1917. On y remarque le ton volontiers dramatique d’Owen et une certaine mise en scène de soi, mais c’est un revenant qui s’exprime ici, ou du moins un rescapé qui sait qu’il va bientôt remettre sa vie en jeu. Après avoir évoqué l’immense plaisir que lui donne une lettre de Pierre Berthaud, un de ses anciens élèves de l’école Berlitz à Bordeaux, il se réjouit de n’avoir eu que des amis sincères et, citant Plutarque, d’être arrivé à mesurer la véritable valeur d’un homme, puis il écrit ceci:

I am not dissatisfied with my years. Everything has been done in bouts. Bouts of awful labour at Shrewsbury & Bordeaux; bouts of amazing pleasure in the Pyrénées, and play at Craiglockhart; bouts of religion at Dunsden; bouts of horrible danger on the Somme; bouts of poetry always; of your affection always; of sympathy for the oppressed always. I go out of this year a Poet, my dear Mother, as which I did not enter it. I am held peer by the Georgians; I am a poet’s poet (Lettre 578).

On note ici la répétition du mot « bouts», —à la fois crise, poussée de fièvre, combat, joute ou concours—, qui ponctue la trajectoire de son existence et dessine ici celle d’un « bildungsroman » dont les grandes espérances, au contraire de celles du Pip de Dickens, n’ont pas été déçues puisque le voilà salué et couronné poète par ses pairs, comme l’indique cette majuscule. On note aussi l’importance qu’il donne à ses expériences françaises à Bordeaux et dans les Pyrénées et le côté quasi possessif de « in the Pyrénées ». Mon but ici est d’interroger cette partie de sa vie qui fait qu’Owen, après ces deux années méridionales, n’est ni tout à fait le même ni tout à fait un autre, pour parodier Verlaine qu’il apprend à connaître alors (Stallworthy 444). Que lui apportent ces deux années en France pour son développement personnel ? Comment cela se répercute-t-il dans sa poésie ? Vu la sensibilité du poète et son goût pour la lecture au service d’une imagination toujours en éveil, il est impossible que ce séjour aquitain n’ait pas profondément marqué Owen, poète caméléon comme Keats, son idole. La tentation est grande de lire dans ses lettres ou ses poèmes des images tirées de l’expérience de sa vie mais Owen lui-même dans ses lettres à sa mère nous le suggère plusieurs fois. De plus, il arrive que Wilfred soit saisi par l’enthousiasme : son imagination débordante lui permet de voir, comme dans la nuit de février 1918 et les rues désertes de Scarborough, Shakespeare dans une lanterne, l’Italie toute entière dans un balcon et dans les graffiti sur les murs de la ville des romans et de la philosophie (Lettre 592). La transformation de l’expérience personnelle en inspiration poétique fait partie de l’alchimie mystérieuse de la création. 

Je me limiterai volontairement à quelques aspects de ce roman de formation ou de transformation pour me concentrer sur trois points : l’invention d’un nouveau personnage, celui d’un Owen français, Monsieur Owen, « l’homme du monde » comme dit Guy Cuthbertson dans sa biographie d’Owen (Cuthbertson 61), puis le poète romantique fasciné par les sciences, à l’instar de ses grandes admirations et de ses devanciers, Wordsworth, Coleridge ou Mary Shelley (Fulford 90-101). J’évoquerai enfin la tentation du catholicisme dans ses rapports complexes avec la religion. Je laisse de côté ce qui concerne l’importance de sa rencontre avec Laurent Tailhade, puisque mes collègues l’évoquent largement et j’en parlerai de manière plus allusive. Je m’appuierai sur les lettres d’Owen, même si celles de cette période française ont subi la censure destructrice de son frère Harold, comme le rappelle Hibberd (Hibberd 136), et sur les travaux et la méthode de Guy Cuthbertson, qui replace volontiers Owen dans l’environnement littéraire de son époque. J’espère ne pas trop donner dans le pyrénéo-centrisme, comme certains sites Internet de la région de Bagnères-de-Bigorre qui se glorifient du séjour d’Owen chez eux. Mais cela fait aussi partie de sa légende. 

Monsieur Owen

Pour le jeune Wilfred, malgré ses agréables séjours de vacances en Bretagne avec son père, l’émigration en France a le goût de l’exil, donnée déjà connue si l’on songe à l’expulsion du paradis de Plas Wilmot et à l’installation à Birkenhead où la famille est confrontée à la laideur et à la saleté, comme en témoigne Harold avec l’épisode des cafards dans leur nouveau logement. Plus tard, Wilfred subit l’échec de l’expérience à Dunsden et surtout à l’examen d’admission à University College de Reading. La perspective d’un emploi chez Berlitz à Bordeaux se présente donc comme une dernière chance de réussite, et comme dans les récits classiques d’immigration, c’est un nouveau Wilfred qui émerge de son séjour à Bordeaux, laissant volontiers derrière lui un passé douloureux. 

Il y arrive en septembre 1913 et y fête ses vingt et un ans le 18 mars 1914, passant à l’âge adulte quasiment avec l’équinoxe de printemps, symbole d’un renouveau. Comme le signale Cuthbertson, il adopte la raie au milieu et la moustache des séducteurs du cinéma muet (Cuthbertson 80), ainsi que le nœud papillon, signe d’une élégance et d’un raffinement nouveau, à l’instar de ses élèves bordelais, généralement de milieux aisés (Hibberd 136). Il se trouve plutôt joli garçon, notamment après la cure d’air pur de Bagnères (Lettre 279), comme le dit plus tard Nénette Léger à sa mère, d’ailleurs du même avis. C’est aussi le sentiment d’Henriette Poitou pendant la visite chez les parents Lem à Castelnau-de-Médoc (Lettre 259), que partagent les femmes dont il croise les regards dans les restaurants de Bordeaux ou qui se pendent à son bras au hasard des rues, —peut-être les prostituées de la rue Ste-Catherine —, ainsi qu’il l’explique à sa mère tout en déclarant que les femmes l’irritent (Lettre 238). Certes son narcissisme est flatté de ces attentions mais ce désir féminin, comme celui de Mme Léger, véritable femme fatale à ses yeux, semblable à la Carmen dont il entend peut-être la Habanera, « L’amour est un oiseau rebelle », au casino de Bagnères, est une menace. Ce sentiment ressurgit dans « The Fates » d’octobre 1917 comme l’indique Cuthbertson (Cuthbertson, 117). Dans sa lettre à sa sœur Mary du 1er juin 1914, il se plaint des jeunes françaises avec qui il est impossible de discuter sérieusement de sujets intellectuels, car ce sont des têtes de linotte, ou de manier le madrigal sous peine de se compromettre et on le sent désarçonné face à l’injonction qui lui est faite de les embrasser (Lettre 259). Il se sent dégradé par ce baiser imposé et mécanique. Sa misogynie rejaillit dans l’expression « giddy jilts, les linottes inconstantes» de « Disabled ».

Son sens de l’esthétique et de l’histoire aura été flatté par l’architecture classique dix-huitièmiste du Bordeaux des Intendants, celle du Grand Théâtre de Victor Louis, ou celle de la rue Porte-Dijeaux où il habite bientôt. Située sur le decumanus de la ville romaine, dont le temple de Jupiter se dressait non loin, d’où le nom de la porte, elle se prolonge par la rue Saint-Rémi qui descend vers la superbe place de la Bourse, au centre du port de la Lune, nom traditionnel donné à celui de Bordeaux, lové dans la longue courbe de la Garonne. Wilfred aime y flâner et regarder parfois ces hydravions qui le font rêver (Lettre 199). Totalement imprégné de culture néo-classique, Wilfred discute bientôt de l’authenticité du mobilier Louis XV et Louis XVI de sa chambre de la rue Desfourniels dans ses lettres à sa mère ou à ce pauvre Harold, qui n’en peut mais (Lettre 295). L’archéologue amateur aura visité les restes du Palais Gallien, les ruines de l’arène romaine englobées dans les maisons de la rue du Colisée, près du Jardin Public où il vient au secours des petits bateaux qu’y font naviguer les enfants (Lettre 375). Ces ruines lui rappelleront le champ de fouilles de la ville romaine de Viriconium, près de Shrewsbury, dévastée par les Saxons, dont les tranchées et les remparts lui inspire le poème « Uriconium : an Ode », probablement écrit en juillet 1913. Ses images d’enfer et de destruction se retrouvent dans ses poèmes de guerre, comme « Parable », « Exposure » et « The Show »Comme le suggère Cuthbertson, il aura peut-être visité le « musée des momies » de la basilique St Michel, dont la crypte située sous le clocher abritait depuis 1791 des dizaines de corps conservés par le sol argileux de l’ancien cimetière paroissial (Cuthbertson 65). L’image l’aura marqué jusqu’à en faire les dormeurs du souterrain de « Strange Meeting » ou les « purgatorial shadows » de « Mental Cases », inspirées par sa lecture de Dante (Kerr 233)

Wilfred fume à présent des cigarettes égyptiennes (Lettre 336), goûte aux bordeaux blancs et rouges et exprime avec aplomb une préférence d’ordre esthétique pour le liquoreux Château-Yquem, cru prestigieux parmi les sauternes (Lettre 246). Au mépris de tous les principes maternels il participe à un spectacle de music-hall (Lettre 199). Il a en fait endossé deux nouveaux rôles. Passons sur celui de poète dont il revêt la panoplie complète pour le Carnaval de février 1914 (Lettre 239), la tête couronnée de laurier et la palme à la main, quoique celle-ci évoque plutôt un martyr chrétien que l’enfant chéri des muses. Mais est-ce vraiment un déguisement vu les ruminations sur son futur métier de poète qui parsèment ses lettres à sa mère, comme celle du 24 mai 1914 ? 

Yet wait, wait, O impatient world, give me two years, give me two free months, before it be said that I have Nothing to Show for my temperament. Let me now, seriously and shamelessly work out a Poem. Then shall be seen whether the Executive Power needful for at least one Fine Art, be present in me, or be missing (Lettre 258)

De même que son père, employé des chemins de fer, assoiffé « d’horizons chimériques » et désespéré de « grands départs inassouvis »[1], se fait passer pour un capitaine au long cours sur les quais de Birkenhead, de même Wilfred à Bordeaux devient le fils d’un baronet, Sir Thomas Owen, rôle que son père joue sans sourciller lors de sa visite d’octobre 1913 (Owen 1965, 52-56). Sans doute, cette double imposture est motivée par les frustrations de Tom Owen comme par la détestation de Wilfred pour tout ce qui lui rappelle son passé et notamment Liverpool, ce dont Harold fait les frais lorsque Wilfred, trouvant son anglais atrocement scouse, le menace de ne plus lui parler s’il lui trouvait la moindre trace d’accent de Liverpool (Owen 1964, 62). C’est pourtant ces accents populaires qu’Owen transcrit dans les quelques poèmes de guerre qui donnent la parole aux simples soldats placés sous ses ordres, comme « The Letter », « Inspection » ou « The Chances ». Mais Wilfred cherche à se présenter comme un parfait gentleman, d’où sa confusion à paraître en négligé chez les grand parents Lem le matin de Pâques 1914 (Lettre 250), ou son choix des Artists’ Rifles comme régiment puisqu’ils acceptent des « gentlemen de retour de l’étranger » qu’ils incorporent avec le grade d’officier (Lettre 357). Du Castel Lorenzo des Léger à Bagnères, nom explicitement évocateur de quelque palais italien, au Chalet à Mérignac, la gentrification de Wilfred est couronnée de succès avec son statut de commensal chez Mademoiselle de la Touche en décembre 1914. Plas Wilmot revirescit !

Ce snobisme et ce souci de respectabilité s’étend au nouveau titre de «professor » qu’il s’attribue. Traduction libre du français, elle signale la rémanence de ses ambitions universitaires, puisqu’il fait aussi croire à de futurs employeurs qu’il se prépare pour Oxford. Cependant ce titre de professeur correspond bien à son rôle d’aîné dans sa famille, puisqu’il devient peu ou prou l’éducateur de ses frères et sœurs, ce qu’il continue de faire dans ses lettres à Mary ou à sa mère, à propos de Colin (Lettre 148). Ce titre de professeur découle aussi de son ambition de maîtriser parfaitement le français pour devenir professeur de français langue étrangère, diplômé de l’université de Bordeaux (Lettre 263), ou « a French-born national », un citoyen français de souche. La réussite est totale lorsque dans les rues de Bagnères on le prend pour un jeune français désœuvré, ou un tire-au-flanc exempté de service militaire (Lettres 278 & 279). En attendant, il souligne ses progrès en français, d’abord en compréhension puis en expression, avec l’acquisition d’un accent français (Lettre 238), et sa capacité d’identifier, tel le professeur Higgins[2], l’origine sociale de ses interlocuteurs bordelais, ce qui le mène à critiquer le niveau insuffisant des professeurs de français des écoles anglaises (Lettre 238). Douglas Kerr souligne la discipline qu’il s’impose dans ses lectures en français, annotant consciencieusement certains mots, expressions ou jugements (Kerr 260-261). Il peut être fier de ses compétences en français puisqu’il s’embarque dans la lecture de Madame Bovary et surtout du Salammbô de Flaubert, à la prose recherchée, en juillet 1915 (Lettre 368). Ses images de carnage guerrier comme sa description des militaires blessés du Docteur Sauvaître à Bordeaux en septembre 1914, pour l’édification du pauvre Harold (Lettre 288), nourrissent ses poèmes de guerre comme « Strange Meeting ». Il semble suffisamment avancé dans sa maîtrise de la langue pour que Laurent Tailhade, qui le complimente sur son français, lui offre un exemplaire des Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse d’Ernest Renan et surtout de La Tentation de Saint-Antoinede Flaubert, d’où la préciosité décadente de «Has your soul sipped », « Dulce et Decorum Est » et « Disabled » selon Douglas Kerr (Kerr 266). Ses lettres sont truffées de traductions littérales cocasses du français vers l’anglais, comme «the ‘Chain’ of the Pyrénées », « Good courage at the dentist’s », « It makes marvellously hot», « I couch me late » ou « between the two ages », comme empruntées à ses élèves (Lettres 283, 263, 282, 295 et 336). Mais on note aussi le choix de mots d’origine française et latine dans ses poèmes, comme « encumbered » et « piteous recognition » dans « Strange Meeting », « sojourned » dans « The Parable », « orisons » dans « Anthem », « multidinous murders » dans « Mental Cases », « infrangibly wired » dans « S.I.W. », « annul » dans « The End » ou « eyes tumultuous » ou « dolorously » dans « Shadwell Stair ». Leur recherche et leur saveur archaïque contraste avec un vocabulaire monosyllabique d’origine saxonne. Elle vise à une certaine distanciation poétique, tout en indiquant son inféodation à un esthétisme certain et son ancrage dans une tradition poétique du mot rare qu’il considère comme la sienne.

Science et romantisme.

Lorsque Wilfred arrive à Bagnères-de-Bigorre le 31 juillet 1914, il ne peut cacher son enthousiasme. La perspective de cet intermède montagnard le ravit d’avance puisqu’avant même que le projet ne se concrétise, il envoie une carte postale à sa mère représentant deux « mountaineers », des pyrénéistes sans doute (Lettre 265). Il faut dire que les Britanniques occupent une place importante dans l’histoire du pyrénéisme. Leur présence s’affirme à Pau, « ville anglaise » après 1815 (Tucoo-Chala), et nombre de poètes romantiques français, comme Vigny et Lamartine, épousent des britanniques. L’engouement des britanniques pour les Pyrénées au XIXe siècle suscite une véritable mode et la publication de maints récits de voyage, de poésies ou d’albums de lithographies. Sur le modèle de l’Alpine Club de Londres, créé en 1857, trois français et trois britanniques fondent la première société de montagnards, la Société Ramond, en 1864 à Bagnères-de-Bigorre (Dollin 169). La fondation est due à Charles Packe et au comte Henry Russell (1834-1909), figure emblématique et flamboyante du pyrénéisme romantique, qui associe la vie mondaine et culturelle paloise ou des stations thermales pyrénéennes comme Bagnères à sa passion de l’escalade et qui inscrit son nom dans bien des sommets ou sites montagnards de la chaîne (Dollin 7-9). Leurs écrits, comme les Souvenirs d’un montagnard de Russel, réédités entre 1878 et 1908, inspirent nombre de pyrénéistes de toutes nationalités. Quant au vice-président de la Société, Farnham Maxwell Lyte, homme d’une culture immense et touche-à-tout scientifique, ses photographies popularisent les sites pyrénéens. Wilfred se retrouve donc en pays de connaissance. 

Le temps se remet au beau pendant son trajet en train de Bordeaux vers Tarbes et la traversée des Landes aux pins odorants, célébrés par ce Théophile Gautier que Wilfred ne connait pas encore[3]. Puis c’est le surgissement des Pyrénées depuis la plaine de Pau auquel rien ne le prépare. Habitué aux collines du Shropshire ou du Cheshire, celle de Broxton Hill où il prend conscience de sa vocation poétique (Lettre 370, note 3), la vision n’a pu que le frapper. En effet, dès le lendemain de son arrivée il est capable de donner à sa mère le nom des sommets qui surplombent Bagnères, à savoir le Montaigu et surtout le Pic du Midi de Bigorre (Lettre 278). De sa position très en avant de la chaine, il a longtemps semblé le plus haut des sommets pyrénéens. Lieu de légendes associé à un culte solaire, il était devenu depuis un siècle l’objet de poèmes, du peu connu Jean Cistac[4] comme de Victor Hugo, qui y mène son « Cid exilé » dans sa Légende des siècles de 1843. C’est aussi le sujet de fantasmes de la part de pyrénéistes de tout poil (Lettre 278) et un lieu d’excursion fréquenté, comme l’atteste l’indispensable Guide Joanne, la Bible de l’excursion aux Pyrénées (Joanne 336). Le guide comprend alors neuf panoramas dessinés par Victor Petit, dont celui des grands sites du massif pyrénéen vus depuis le sommet du pic, et les descriptions de Joanne, comme celles de Russel, sont dignes des écrivains romantiques français. Wilfred a-t-il eu l’occasion de le consulter avant son départ, ou bien est-ce le Guide Richard aux Pyrénées, enrichi de photos, qui a eu ses faveurs ? Grâce à Mme Léger, et ce dès son arrivée (Lettre 277), le voilà équipé des espadrilles dont se munissent les contrebandiers aragonais ou basques pour qui les Pyrénées ne sont pas une frontière et dont les portraits pittoresques figurent dans les illustrations romantiques de sites pyrénéens d’Eugène Devéria (1805-1865), qui s’installe et meurt à Pau, ou de Gavarni (1804-1866), qui choisit ce pseudonyme à la suite d’une visite du célèbre Cirque de Gavarnie. Wilfred s’abime souvent dans la contemplation du Pic du Midi et renonce à s’y rendre ultérieurement (Lettre 283), mais la Lettre 282 le décrit muni d’un alpenstock, le long bâton ferré des ascensionnistes, qui indique soit la prise d’un nouveau rôle, celui du pyrénéiste, soit un projet d’excursion, mais il lui manque les indispensables chaussures cloutées pour compléter sa panoplie. Wilfred souligne que le pic est toujours couvert de neige malgré l’avancement de la saison et cette vision des neiges éternelles resurgit dans « The End » où elles font ployer la tête du vieux père Temps. 

Dès le début du XVIIIe siècle le sommet du pic devient un lieu d’observations scientifiques (Sanchez, 57). Ramond de Carbonnières (1755-1827), père du pyrénéisme et savant des Lumières qui donne son nom à la société fondée à Bagnères, le gravit 35 fois entre 1787 et 1810 pour des observations scientifiques de tous ordres. Maxwell-Lyte y effectue des observations avec une grande lunette astronomique et réalise les photographies de l’éclipse de soleil du 18 juillet 1860. C’est à l’initiative de la Société Ramond que l’observatoire du Pic du Midi est créé. La construction du premier observatoire au sommet du pic s’achève en 1882. Dans la première coupole, la coupole Baillaud de 8 m de diamètre, est installé en 1908 un télescope de 50 cm de diamètre, l’un des plus grands au monde à l’époque, qui permet en 1909 de démentir l’existence de canaux sur Mars. Wilfred l’astronome amateur et le poète caméléon a-t-il le temps d’assimiler ces informations ? Comme les savants du pic, il est fasciné par les étoiles, « les étoiles éternelles, permanent stars » de « Bugle Sang » et il note que, —conséquence de l’absence de pollution lumineuse urbaine—, les étoiles à Bagnères sont deux fois plus brillantes qu’ailleurs, plus brillantes que cette froide étoile que fut la Terre dans « Futility », prête à s’éteindre dans « The End ». 

Le Castel Lorenzo que louent les Léger est construit dans les années 1890 par le docteur Cazalas à flanc de colline aux alentours de Bagnères, d’où cette charrette et l’âne d’opéra-comique qui transportent M. Léger, Nénette et Wilfred depuis la gare (Lettre 277). Cazalas y reçoit des personnes avides d’air pur ou de riches curistes qui viennent aux thermes de Bagnères-de-Bigorre. La ville est une des nombreuses stations thermales du piémont pyrénéen. Ses sources sont connues et appréciées des romains comme de Montaigne et ses premiers thermes sont construits à la fin du XVIIIe siècle. Fées des fontaines ou nymphes des eaux en marbre ou en bronze ornent ses sources[5], comme celles que sculpte Jean Escoula (1851-1911), natif de Bagnères, que Wilfred admire modérément (Lettre 288). Les paysages théâtralisés des alentours bagnérais sont plus doux que ceux des rivales montagnardes, Luz et Cauterets, situées au pied des grands sommets, mais la ville, capitale des stations thermales pyrénéenne et « Athènes des Pyrénées » (Sanchez, 64) fait partie de l’itinéraire obligé des voyageurs romantiques aux Pyrénées, comme Hugo, Dumas, George Sand, Vigny, Stendhal, Taine, Viollet le Duc et Flaubert (Gabastou 5-11). Ils s’enthousiasment pour ce décor sublime où flotte encore l’ombre du grand Roland que célèbre Vigny dans son poème Le Cor de 1825[6], que récite peut-être Charles Léger au casino de Bagnères. 

J’aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois, 
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille. 

Que de fois, seul, dans l’ombre à minuit demeuré, 
J’ai souri de l’entendre, et plus souvent pleuré ! 
Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques 
Qui précédaient la mort des Paladins antiques. 

Ô montagne d'azur ! ô pays adoré !
Rocs de la Frzona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;

Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons,
Dont le front est de glace et le pied de gazons !
C'est là qu'il faut s'asseoir, c'est là qu'il faut entendre
Les airs lointains d'un Cor mélancolique et tendre.
(...)

De la Brèche de Roland dans le Cirque de Gavarnie, proche de Bagnères, au Pas de Roland en Pays Basque, proche de Roncevaux, le paladin Roland hante les Pyrénées. Dans son poème, Vigny s’inspire de l’épisode le plus connu de la Chanson de Roland, antique chanson de geste que Wilfred cite à Leslie Guston de retour à Bordeaux en 1915 (Lettre 368), et qu’il pousse plus tard C. K. Scott Moncrief à traduire (Cuthbertson 94). Le paladin, aux mains des Sarrasins insoumis au col de Roncevaux, se voyant perdu, fait sonner du cor avant de briser son épée Durandal sur le roc. Wilfred entend-il le célèbre Cor, Poème Pittoresque d’Ange Flégier (1846-1927) qui en 1895 met en musique quelques strophes du poème de Vigny[7], avant qu’il ne fasse partie des programmes des casinos de villes d’eau ? Bagnères est aussi la patrie d’Alfred Roland et de l’orphéon des Chanteurs Montagnards, fondé en 1832, qui construisent de toutes pièces un folklore musical pyrénéen, comme la célèbre Tyrolienne des Pyrénées, « Halte là, les montagnards sont là ». Montagnards comme contrebandiers se jouent de la frontière toute proche avec l’Espagne mystérieuse : très à la mode en littérature et en musique depuis les voyages d’Hugo, Dumas, Gautier et Mérimée ou du britannique George Borrow, célèbre auteur de The Bible in Spain (1843), Wilfred songe à s’y rendre pour échapper à la guerre (Lettre 516). 

Wilfred perçoit-il ces échos de cette génération romantique française (Fourcassié), nourrie de paysages pyrénéens, des romantiques anglais, et de Shakespeare ou de Walter Scott, comme Vigny? Il fait vite le lien avec sa tradition insulaire en comparant le petit ruisseau de la Gailleste qui coule sous ses fenêtres à celui de Coleridge dans The Ancient Mariner (Lettre 277). De cette période, qu’Edmund Blunden qualifie « phase ‘Endymion’ de sa vie poétique », date « From my Diary, July 1914 » (Day Lewis 153). Il décrit une journée idyllique de l’aube, à midi et au crépuscule, —découpage qui rappelle le triptyque symphonique de Vincent d’Indy (1851-1931) Jour d’été sur la montagne, op. 61 de 1905—, et convoque la panoplie d’un romantisme attardé[8]. On note l’utilisation systématique de la demi-rime dans le poème, le premier exemple chez Owen d’après Cecil Day Lewis (Day Lewis 117). Son effet de passage du mode majeur au mineur évoque le cor bouché. Est-ce quelque pastoure de Bigorre ou Nénette, dont les yeux et la voix fascinent tant Owen qu’il la compare au Rustle of Spring de Christian Sinding, qui se cache sous les traits de la jeune fille du poème[9] ? Elle paraît aussi dans « The Sleeping Beauty » et « Song of Songs » de 1917, lequel adopte le même découpage tripartite, et peut être aussi dans la deuxième strophe de « Disabled » qui évoque les yeux et la taille fine des jeunes filles. « From my Diary » peint une idylle campagnarde assez convenue qui se termine par l’évocation des feux du couchant, substituts de ceux de la passion. On les retrouve dans « I saw his round mouth’s crimson ». L’image quasi whitmanienne des baigneurs évoque peut-être le bain dans le ruisseau de la Gailleste ombragé d’aulnes que prend Wilfred chaque matin (Lettre 281). Plus que les eaux chaudes des thermes ou fraiches des fontaines de Bagnères, ce sont ces eaux lustrales qui lavent les roues des chariots ensanglantés de « Strange Meeting ».

Autre lieu important pour les curistes, le Casino, point focal de la vie culturelle et mondaine de la ville, où se produisent orchestres, chanteurs et grands comédiens comme Sarah Bernhardt. Wilfred y accompagne Mme Léger pour écouter son époux réciter des poèmes et Laurent Tailhade faire des conférences, dont une sur son compatriote Théophile Gautier, théoricien de l’art pour l’art, lui aussi natif de Tarbes (Hibberd 166). La cohabitation avec les Léger est importante pour Wilfred. D’abord il fréquente un couple atypique et « moderne ». Mme Léger, chef d’entreprise, maîtresse femme qui sait mener les hommes par le bout du nez, ressemble à la « New Woman » qu’exaltent en Angleterre Bernard Shaw et sa Candida (1898) ou H.G. Wells dans Ann Veronica (1909). Au contraire de tous les stéréotypes et de l’expérience personnelle de Wilfred, c’est l’époux impécunieux, ancien directeur du Casino, qui se dévoue à l’art dramatique et au théâtre expérimental, et présente ainsi une figure du véritable artiste, tel que le définit Shaw dans Man and Superman que cite Owen (Lettre 258). La gravitas de Charles Léger qui émane des descriptions qu’en fait Wilfred semble l’avoir beaucoup impressionné (Lettre 278). Ses ambitions de poète sont connues et reconnues par les Léger, qui invitent Tailhade pour le bien de Wilfred, comme il le souligne dans ses lettres, non sans quelques palpitations (Lettre 285). Gloire internationale, anarchiste de tempérament, libertaire volontiers provocateur[10], satiriste mordant, ennemi des antidreyfusards et soutien de Zola, prêt à défendre physiquement ses idées au cours de duels nombreux, mais aussi ami de Verlaine et de Mallarmé, c’est le premier poète engagé et révolté que Wilfred rencontre, et dans son imagination il rejoint Shelley, le révolté de Queen Mab, dont il a reçu une édition de ses œuvres poétiques complètes pour ses vingt et un ans (Cuthbertson 76). Au cours de leurs promenades, Wilfred a dû s’ouvrir auprès de Tailhade sur sa vie, ses ambitions de poète et ses doutes. En lui offrant les Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse de Renan, ancien séminariste dont la scandaleuse Vie de Jésus qui présente le Christ comme un homme admirable est mise à l’index en 1863, et dont l’extraordinaire « Prière sur l’Acropole » exprime l’impossibilité d’adhérer plus longtemps à la foi chrétienne alors qu’elle lui a longtemps semblé l’expression absolue de la vérité, Tailhade lui donne l’exemple de la via dolorosa d’un grand philosophe vers la liberté de conscience et l’abandon de l’orthodoxie religieuse. À Bagnères, Wilfred est-il prêt à l’entendre ? 

La tentation du catholicisme

Le séjour de Wilfred en France le confronte avec ce catholicisme qui fait si peur à sa mère, de tradition évangélique et « Low Church ». Les vacances à Bagnères sont trop brèves pour que Wilfred s’étende sur ses pratiques religieuses et il ne mentionne rapidement qu’une messe dominicale où il accompagne Nénette (Lettre 284). La religion semble le cadet des soucis des Léger, et l’amitié de M. Léger avec Tailhade est fondée sur leur rejet commun de la calotte, pour employer une expression du temps[11]. Pourtant à Bagnères Wilfred baigne dans une région de forte tradition mariale. Déjà une statue de Vierge à l’enfant en bronze doré couronne la tour Pey-Berland de la cathédrale St André de Bordeaux. Venant de Bordeaux, après Pau, le train passe tout près du sanctuaire baroque de Notre-Dame de Bétharram et de son chemin de croix dans la montagne, récemment restauré. Le train ralentit dans la gorge du Gave à l’approche de Lourdes, étape obligée sur la ligne, et Wilfred n’a pas pu ne pas voir les flèches des sanctuaires de la cité mariale, les cierges qui brûlent perpétuellement sous l’abri de la Grotte de Massabielle et les béquilles des miraculés accrochés sous sa voute, ni entendre les chants des pèlerins. De même, en montant à Beaudéan avec Tailhade (Hibberd 169), il a dû voir les ruines de la chapelle de Notre-Dame de Médous, et dans la pittoresque église de Beaudéan le superbe retable baroque en bois doré et sa chapelle de la Vierge. Lourdes n’est qu’à une vingtaine de kilomètres et le Tramway de la Bigorre, inauguré le 1er avril 1914, assure une liaison régulière avec Bagnères[12]. Le 15 août, fête de l’Assomption, jour férié en France, est l’occasion de processions et de bals populaires comme du grand Pèlerinage National à Lourdes, fondé par les Assomptionnistes après la défaite de 1870, qui réunit des royalistes et des opposants à la république, bord opposé à Léger et Tailhade[13]. Sans doute, ceux-ci auront lu le roman de Zola, Lourdes paru en 1894, qui peint le besoin de surnaturel persistant chez l’homme malgré les conquêtes de la science, et il n’y aura pas de visite à Lourdes pour eux, ni pour Wilfred. 

Mais Wilfred connait Lourdes suite à la forte présence d’Irlandais catholiques à Liverpool, ou grâce à des écrivains catholiques anglais comme Robert Hugh Benson (1871-1914), G. K. Chesterton ou Hilaire Belloc, dont il apprécie Hills and the Sea (Lettre 360), publié en 1906. Le recueil, écho des randonnées pédestres de Belloc loin des sentiers battus, inclut nombre de textes parlant des Pyrénées espagnoles, dont le Roncevaux de la légende, mentionne Bagnères dans un article sur la Cerdagne, et cultive les références au culte des saints. Owen plaisante à propos des miracles de Lourdes dans une lettre à sa mère (Lettre 268). Mais c’est une Vierge immaculée, « One Virgin still immaculate », dogme proclamé par le Pape Pie IX en 1854 dont se fait écho la Dame à la voyante de Lourdes le 25 mars 1858, qui figure dans « Le Christianisme » pour exprimer le sentiment des soldats d’être totalement abandonnés de Dieu et de ses saints. Et cette Vierge Immaculée est sans doute une réplique de celle du sculpteur Joseph Fabisch, installée à la Grotte de Massabielle en 1864 (Fargues.74-75), qui figure depuis dans toutes les églises de France sous le nom de N-D de Lourdes. Mais plus qu’à l’Immaculée Conception, les sanctuaires qui entourent Wilfred à Bagnères sont dédiés à la vierge consolatrice des affligés et à la mère protectrice et guérisseuse telle que la décrivent les Litanies de la Vierge Marie. Elles énumèrent toutes ses qualités dans une série d’invocations dont les suivantes, « Mère admirable, Mère digne d’amour, Mère du Bon Conseil, Mère du Bel Amour, Mère de Miséricorde, Mère de l’Espérance, Cause de notre joie, Modèle des épouses, Santé des malades, Refuge des pécheurs, Consolatrice des malheureux », pourraient s’appliquer à Susan Owen, la mère « qui sourit et pardonne », au miroir de leur correspondance. Ne salue-t-il pas sa mère le 20 mai 1912 en parodiant l’Ave Maria : « O blessed art thou among women ! Sois bénie entre toutes les femmes ! (Hibberd 101) » Et cette image de la mère et des mères «lentes et sages » se retrouve dans « Six O’Clock in Princess Street » puis associée à celui du sommeil réparateur « sleep mothered them » dans « Disabled, « Bugles Sang » et « Happiness ». Entre temps, en opposition totale avec la lettre relatant sa visite aux blessés du Docteur Sauvaître, où il exprime peu de réelle sympathie pour ces derniers (Lettre 288), il a fait sienne la compassion maternelle, prodiguant à ses frères d’armes dans ses poèmes la tendresse dont sa mère l’entourait. 

C’est à Bordeaux que Wilfred fréquente les églises catholiques au grand dam de Susan, et avec juste raison si elle se rappelle ce qu’Harold appelle « Wilfred’s Church », quand l’enfant transforme le salon de la maison en sanctuaire et revêt le surplis et la mitre confectionnés par sa mère, qui met bientôt un terme à cet exercice aux relents papistes (Owen 1963, 150-51). C’est la fascination pour le rituel catholique, avec ses chants, ses ornements et ce goût de l’interdit qui pousse Wilfred dans les églises bordelaises, bien qu’il juge sévèrement l’absence totale de culture biblique des catholiques (Lettre 230), car chez lui la lecture de la Bible est associée au rituel familial de l’enfance. Son sens de l’esthétique entre aussi en jeu dans cette fascination pour le rite romain, ce qu’il laisse entrevoir à sa mère : « The question is to un-Greekize me (Lettre 308). » Il laisse des descriptions assez contradictoires de trois cérémonies où, selon son propre aveu, il se trouve sous le charme du catholicisme. Au cours d’une messe de funérailles qui suit le décès de son grand-père en mai 1914 (Lettre 253), il est bouleversé par la voix de basse du chantre et les répons des prêtres en latin, auquel il trouve plus charme qu’au français, peut-être par ce qu’il lui semble plus évocateur des mystères de la foi. Mais Wilfred est offusqué par le comportement et la laideur des croquemorts, qui lui rappellent sans doute les momies de St Michel, rompant ainsi le charme de l’office.

Les deux autres expériences se situent à Mérignac, chez les de la Touche, catholiques convaincus. Wilfred est le précepteur de garçons qui entendent la messe chaque matin et doivent rejoindre leur école catholique de Downside, tenue par des bénédictins. Là aussi Wilfred note le rituel, l’encens, les acolytes mais le ton est sarcastique vis-à-vis de ces raffinements papistes (Lettre 308). A-t-il progressé dans sa lecture de Renan qui compare la pureté du rituel des églises bretonnes avec celui, très mondain, du séminaire de Saint-Sulpice ?

Mes vieux prêtres, dans leur lourde chape romane, m’apparaissaient comme des mages, ayant les paroles de l’éternité ; maintenant, ce qu’on me présentait, c’était une religion d’indienne et de calicot, une piété musquée, enrubannée, une dévotion de petites bougies et de petits pots de fleurs, une théologie de demoiselles, sans solidité, d’un style indéfinissable, composite comme le frontispice polychrome d’un livre d’heures de chez Hebel. (Renan 133) 

Enfin il y a cette grand-messe de Pâques qu’il mentionne dans une lettre du 4 avril 1915, datée en français d’un « Dimanche de Pâques » qui semblerait indiquer une attente ou une adhésion au dogme de la Résurrection. Associe-t-il cette cérémonie avec le « Sabbath Morning at Sea » d’Elizabeth Barrett Browning, dont on lui offre un recueil de poèmes à Dunsden en 1912 (Cuthbertson, 45), et ses images d’assemblée psalmodiant, « chanting congregation » et de prêtre en étole « stolèd minister» ? [14] Décrite comme « real, genuine Mass » elle produit le même effet de fascination et de rejet lisible dans la contradiction des propos : « with candle, with book and with bell, and all like abomination of desolation : none of your anglican simulacrum(Lettre 336). » Sait-il que l’expression « bell, book and candle» fait partie du rituel d’excommunication du traitre Mordred dans La Morte d’Arthur ou de Faustus dans la tragédie de Marlowe ? Tous ces offices semblent le renvoyer à l’expérience douloureuse de Dunsden, comme il semble l’indiquer à Mary en mai 1914 (Lettre 253), et au divorce qu’il constate entre le dogme de charité et de fraternité de l’évangile et un rituel qui lui semble certes beau mais vide de sens. Au regard des poèmes de guerre et de ses lettres d’après le baptême du feu et de l’enfer où le Christ est très présent et malgré la tentation du blasphème dans « Futility », « The End » ou « Maundy Thursday », associé au rituel de la Semaine Sainte qu’il semble respecter (Lettre 336), on le sent tout proche du cheminement effectué par Renan : 

J’étais chrétien, cependant; car tous les papiers que j’ai de ce temps me donnent, très clairement exprimé, le sentiment que j’ai plus tard essayé de rendre dans la Vie de Jésus, je veux dire un goût vif pour l’idéal évangélique et pour le caractère du fondateur du christianisme. L’idée qu’en abandonnant l’église, je resterais fidèle à Jésus, s’empara de moi, et, si j’avais été capable de croire aux apparitions, j’aurais certainement vu Jésus me disant : « Abandonne-moi pour être mon disciple (Renan 225). »

Fidélité au Christ mais rejet de l’Église, catholique ou autre, c’est ce qui se lit dans ses lettres écrites du front comme dans ses poèmes, dans « At a Calvary near the Ancre » par exemple. Au « simulacrum» de la Lettre 336 répond « mockeries » de « Anthem for Doomed Youth », dont les cierges figurent dans les trois messes bordelaises. On en trouve l’écho dans le War Requiem de Benjamin Britten (1962) qui raconte le destin d’Owen à travers neuf de ses poèmes[15]. Dans l’Introït il fait intervenir Owen se dressant hors de la tombe pour clamer à la foule son rejet de ce simulacre de funérailles qu’est la Messe des morts que le grand chœur vient de commencer. Britten retient aussi « Futility » et « The End » qui expriment les doutes téléologiques de Wilfred, proche du blasphème dans sa remise en question des dogmes de la Création et de la Rédemption. Britten a fidèlement écouté Owen et son Requiem aeternam initial, ponctué du glas d’un triton angoissant, restitue l’ambiance sonore des lettres d’Owen. Du Jour des Morts 1913 aux funérailles de mai 1914 reste le souvenir des sonneries mélancoliques de cloches sépulcrales qui résonnent dans « Anthem » comme dans « All Sounds have been as Music » (« Pacific lamentations of slow bells») et dans « The Calls » (« stern bells »).

Bordeaux First on my Post-War Visiting List

Pour autant, il est un avantage que l’église catholique possède sur l’église anglicane, c’est le sacrement de la pénitence, de la confession et l’absolution qui s’en suit. Et, quoiqu’en pense Rowan Williams, ancien Archevêque de Cantorbéry, dans sa critique de l’ouvrage de Cuthbertson[16], depuis Henry Newman, Wilfred ne serait pas le premier des anglicans à se convertir au catholicisme. Ce sacrement est évoqué dans « The City Lights » qui affirme malgré tout la foi d’Owen en Christ, car, comme il le dit à sa mère en février 1918, avant de lui donner la première version de « The Last Laugh » (Lettre 592)il y a un point où prière et blasphème se rejoignent. Cette foi réitérée est à mettre en parallèle avec sa foi en lui-même comme poète et en la mission qu’il se donne auprès de ses soldats. Le vocabulaire du catholicisme est alors repris pour peindre une vision baudelairienne du salut (Kerr 260), comme si le rituel de beauté tant décrié avait été réinvesti de la vérité qu’il est censé servir. « The City Lights », esquissé en 1914 et repris entre 1917 et 1918 selon Cuthbertson (Cuthbertson 96), synthétise l’expérience bordelaise dont Wilfred garde un souvenir ému puisque Bordeaux sera la première de ses destinations d’après-guerre dit-il en décembre 1917 (Lettre 578). On y retrouve les lumières de Bordeaux dans la courbe du fleuve, les cierges de Pâques, le retable de Beaudéan, les pins des Landes, les feux du couchant sur la montagne de « July 1914 » et le chemin des étoiles autour du Pic du Midi qui monte vers le sommet comme une échelle de Jacob. Après la boue, le sang, la puanteur des tranchées, l’obscurité et la laideur totale qui l’entoure, « the universal pervasion of Ugliness » (Lettre 482)peut-on lui reprocher cette nostalgie de la beauté, celle de la Poésie au vocabulaire précieux, « the wildest beauty in the world», qui a toujours été au centre de sa vie comme il l’exprime dans « Strange Meeting », qui est à la fois son art poétique et son testament spirituel. 

Oui, l’expérience aquitaine est positive pour Wilfred. Les lettres de son séjour à Bagnères insistent fréquemment sur les heures enchantées qu’il y passe comme dans un roman et cette expérience pyrénéenne colore ses derniers jours en France. En octobre 1914, à son retour dans un Bordeaux devenu capitale de la France en guerre, le voilà un nouveau personnage, ayant accompli en quelque sorte sa « finishing school» à défaut de son « grand tour ». Indépendant financièrement à présent, il a fréquenté des artistes et rencontré un vrai poète, qui l’initie à une poésie et une littérature encore inconnues, et qui lui permet de résoudre ses cas de conscience vis-à-vis de la religion et de son engagement dans l’armée. Il est prêt à devenir celui qui est entré dans la légende de la Grande Guerre.

Bibliographie

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Day Lewis, Cecil (ed.). The Collected Poems of Wilfred Owen. London, Chatto & Windus, 1963.

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Fargues, Cyril. Lourdes. Vic-en-Bigorre, Editions MSM, 2011. 

Fourcassié, Jean. Le Romantisme et les Pyrénées. Paris, Gallimard, 1940.

Fulford, Tim. « Science », Romanticism, an Oxford Guide. Roe, Nicholas (ed.). Oxford, O.U.P, 2005.

Gabastou, André (ed.). Voyages aux Pyrénées. Urrugne, Editions Pimientos, 2001.

Hibberd, Dominic. Wilfred Owen, A new Biography. London, Orion Books, 2003.

Joanne, Adolphe Laurent. Itinéraire descriptif et historique des Pyrénées de l’Océan a la Méditerranée. Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1858. 

Kerr, Douglas. Wilfred Owen’s Voices. Oxford, Clarendon Press, 1993.

Owen, Harold. Journey from Obscurity, Wilfred Owen, 1893-1918. Memoirs of the Owen Family, Vol I. Oxford, O.U.P, 1963.

— Journey from Obscurity, Vol. II. Oxford, O.U.P., 1964.

―Journey from Obscurity, Vol. III. Oxford, O.U.P., 1965.

Owen, Harold & Bell, John (eds.). Wilfred Owen, Collected Letters. Oxford University Press, 1967. 

Picq, Gilles. Laurent Tailhade ou De la provocation considérée comme un art de vivre. Paris, Maisonneuve & Larose, 2001.

Renan, Joseph Ernest. Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Paris, Calmann-Levy, 1883.

Sanchez, Jean-Christophe. Le Pic du Midi du Bigorre et son observatoire, histoire d’une montagne et d’un observatoire scientifique, Editions Cairn, 2014.

Stallworthy, Jon (ed.). Wilfred Owen, The Complete Poems and Fragments. Chatto & Windus, The Hogarth Press, Oxford University Press, 1983.

Touchard, Jean (éd.). La gauche en France depuis 1900. Paris, Seuil, 1977.

Tucoo-Chala, Pierre. Pau, ville anglaise. Pau, Editions Gascogne, 2013.

Williams, Rowan. « Wilfred Owen: The Peter Pan of the Trenches ». The New Statesman, 27 février 2014.


[1] L’horizon chimérique de Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914), poète-soldat né à Bordeaux et tué au Chemin des Dames le 28 novembre 1914, est publié en 1920.

[2] Pygmalion, la pièce de Shaw, date de 1913. 

[3] « Zut ! I never read him », Lettre 368. Voir le poème de Gautier « Le pin des Landes » de 1840, extrait du recueil España (1845). 

[4] Jean Cistac, donateur qui contribue à l’édification de l’observatoire du Pic du Midi, publie un Notre-Dame de Lourdes et l’observatoire du Pic du Midi en 1876 (Sanchez 17, 133).

[5] http://lieux.loucrup65.fr/thermesbagneres06.htm, consulté le 17/10/2019.

[6] Publié en 1837 dans Poèmes antiques et modernes.

[7] http://data.bnf.fr/13994836/ange_flegier. Voir aussi  https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k13111158, consultés le 18/10/19.

[8] L’œuvre se compose ainsi : 1. Aurore, (un lever de soleil sans nuages). 2. Jour, (rêverie dans un bois de sapins). 3. Soir, (retour au gîte avec de dernières éclaircies sur les cimes des pins puis la nuit).

[9] Rustle of Spring (Frühlingsrauschen) op. 32, n°3, (1896) du norvégien Christian Sinding (1856-1941), pièce très populaire dans les salons de l’époque. Lettre 284.

[10] Gilles Picq. Laurent Tailhade ou De la provocation considérée comme un art de vivre.  Paris: Maisonneuve & Larose, 2001

[11] La Calotte est le titre d’un journal anticlérical sous la IIIe  République. Jean Touchard (éd.). La gauche en France depuis 1900.  Paris, Seuil, 1977; p. 74

[12] http://tramway.loucrup65.fr/hautespyrenees.htm, consulté le 18/10/19

[13] Ce pèlerinage est maintenu en août 1914 malgré la déclaration de guerre. (Fargues 129)

[14] https://www.poetrynook.com/poem/sabbath-morning-sea, consulté le 20/10/2019.  Le poème est partiellement mis en musique par Elgar dans ses Sea Pictures, op. 37 de 1899.

[15] Parmi ceux-ci  Exposure est rejeté par Britten car trop long, comme The Show, également écarté car trop réaliste et trop long.

[16] Rowan Williams. « Wilfred Owen: The Peter Pan of the Trenches » The New Statesman, 27 février 2014.


Gilles Couderc, Senior lecturer in English at the University of Caen (France), has written a PhD thesis on the libretti and the music in Benjamin Britten’s operas, Des héros au singulier, les héros des opéras de Benjamin Britten (University of the Sorbonne, 1999). He has published many articles on the operas and the works of Britten and Ralph Vaughan Williams. He has organized many conferences among the ERIBIA team at the University of Caen on opera libretti inspired by the Anglophone world and edited the proceedings in the e-Journal LISA/LISA and co-edited a special issue of La Revue Française de Civilisation Britannique on music and the shaping of the English national identity: Musique, nation et identité : la renaissance de la musique anglaise. His research includes the connection between text and music and their intersemiocity and the role of serious music in the shaping of British identity.   

Wilfred Owen ou la parole survivante

XAVIER HANOTTE

Observations on the translation of Wilfred Owen by one of his translators and comparisons with other war poets.

Observations sur la traduction de Wilfred Owen par un des ses traducteurs et comparaisons avec d’autres poètes de guerre.

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Il y a maintenant plus de trente ans qu’après un heureux parcours sur les chemins de la philologie germanique – comme on dit en Belgique – je quittais le monde universitaire et, sans rien renier de ses enseignements et de ses disciplines, entamais un parcours professionnel assez éloigné de mes préoccupations premières. Pourtant, ce parcours ne m’exilerait jamais tout à fait hors de la sphère littéraire, au point que j’y reviendrais presque aussitôt, dès 1984, par le biais de la traduction romanesque, pour mieux m’y incruster dix ans plus tard, lorsque sortit à Paris mon premier roman. Depuis trente ans, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

Cette petite mise au point excusera, je l’espère, le côté amateur – au sens étymologique du terme – que revêtira la présente communication. Faisant bon marché des règles scientifiques sans pour autant les mépriser, mon propos manquera sûrement d’étais, de renvois aux sources et autres repères bibliographiques. Je vous prierai donc d’y voir, en tout premier lieu, un témoignage qui, aussi subjectif puisse-t-il être, tentera malgré tout de ne pas quitter les rails d’une certaine objectivité. C’est que trente années, de lectures d’abord, de traductions ensuite, avec une échappée qui dure encore vers la construction romanesque, cela laisse des traces. Et comme mon compagnonnage avec Wilfred Owen, vieux d’une vingtaine d’années, s’est entre-temps poursuivi sous des formes moins littéraires et davantage inscrites dans le paysage mémoriel du Cambrésis, on pourra peut-être parler à mon sujet – mais heureusement, je suis loin d’être seul dans le cas – d’un engouement qui résiste au temps.

Je ne referai pas ici l’historique de cet aimable compagnonnage. Outre que cela témoignerait d’une présomption hors de propos, j’ai déjà procédé à cet exercice dans un article donné en octobre 2008 à la revue Nord (n°52), dirigée à l’époque par le regretté Paul Renard, texte auquel je me permettrai de renvoyer les éventuels intéressés.

Au lieu de cela, je tenterai de développer, grosso modo, la réponse que je donne à une question récurrente sinon obsédante, du moins pour moi. Comment la poésie et, plus largement, – si l’on prend en considération la correspondance et les souvenirs de ses amis et connaissances – la parole de Wilfred Owen a-t-elle pu traverser le temps, voire les frontières de langue, et parvenir jusqu’à nous, ses lecteurs, sans presque rien perdre de son urgence, de sa force de conviction et surtout – voici que ma subjectivité pointe le bout du nez – de sa musicalité porteuse d’une émotion à la fois datée et intemporelle ?

On le verra, cette survie demeure toujours menacée par les réductions, les gauchissements et même divers détournements, lesquels ont varié au fil des décennies. Mais les disputes posthumes autour de la personnalité et de l’art du poète ne lui confèrent-elles pas cette vie inhérente à l’existence d’un débat ? À chacun son Wilfred, serait-on tenté de dire, et le fait que des chapelles de tous ordres ont revendiqué ou revendiquent encore sa dépouille plaide dans le sens d’une perpétuation, celle-ci dût-elle se réaliser au prix d’éventuels brouillages.

Selon mon expérience de lecteur et de passionné, la parole de Wilfred Owen est donc une parole survivante. Car son oblitération progressive, longtemps rampante, voire bien entamée, comme celle de tout ce qui a pu concerner l’environnement culturel du premier conflit mondial, n’est plus à l’ordre du jour. Et à ce propos, il est réjouissant de constater que la vague mémorielle actuelle, dans tout ce qu’elle a de ponctuel et donc d’éphémère, n’entre que pour peu de chose dans cette pérennisation.

En tout cas, si l’on peut parler de survie dans le cas de Wilfred Owen, c’est très certainement et uniquement à sa parole qu’il la doit. Pour les connaisseurs de l’œuvre, cette remarque tient d’une lapalissade sans intérêt. Car malgré la sympathie que l’on peut éprouver pour la famille Owen lorsqu’on lit les biographies de Jon Stallworthy, de Dominic Hibberd ou de Guy Cuthbertson, force est de reconnaître qu’elle ne présente aucun caractère susceptible de la distinguer de milliers d’autres en Angleterre ou ailleurs. Le parcours de notre aspirant-poète dans les années précédant le conflit, s’il peut donner du grain à moudre aux exégètes, semble à peu près dépourvu de relief et, surtout, ne laisse que très incidemment présager l’explosion future de son talent.

Quant à la carrière militaire, entamée à Londres le 21 août 1915, elle n’a en soi rien de très extraordinaire, tout au moins jusqu’au 4 novembre 1918. Owen n’est d’abord, et c’est peu dire, guère pressé de rejoindre les rangs. Il n’est que de mentionner cette lettre du 28 août 1914, écrite depuis Bagnères-de-Bigorre, peu après sa rencontre avec Tailhade :

I feel my own life all the more precious and more dear in the presence of this deflowering of Europe. While it is true that the guns will effect a little useful weeding, I am furious with chagrin to think that the minds which were to have excelled the civilization of ten thousand years, are being annihilated - and bodies, the product of aeons of natural selection, melted down to pay for political statues. I regret the mortality of the English regulars less than of the French, Belgian, or even of Russian or German armies : because the former are all Tommy Atkins, poor fellows, while the continental armies are inclusive of the finest brains and temperaments of the land. (CL, 282)

On mesure à quel point notre homme ne relève ni de la catégorie des va-t-en-guerre ni de celle des patriotards étroits. Quant à l’ébauche d’internationalisme, elle se tempère aussitôt d’un élitisme flirtant avec le mépris de classe. Owen s’inclut d’autorité – avec un brin de volontarisme – dans la caste des intellectuels. Il est encore loin, le futur officier subalterne préoccupé du sort de ses hommes ! Tout cela changera bien sûr avec le temps et l’expérience du combat, mais en attendant, le cheminement sera lent et fort hésitant. On n’en a d’ailleurs pas fini d’effectuer le tri parmi les successives motivations avancées pour justifier son engagement, dont la défense de la langue anglaise n’est certes pas la plus convaincante.

D’un simple point de vue chronologique, on doit aussi considérer les périodes relativement restreintes qui bornent sa carrière militaire. Entre le 21 août 1915 et le 4 novembre 1918, Wilfred Owen aura passé trente-six mois et quinze jours sous l’uniforme. Quant à sa présence effective au front ou à proximité de celui-ci, elle n’excède pas, si l’on en croit les dates relevées par ses biographes, un peu plus de trois mois en tout et pour tout, le reste se répartissant entre permissions, formations spécifiques, périodes d’hospitalisation, de convalescence et de revalidation.

Le seul titre de gloire strictement militaire qui échoit au poète combattant se place d’ailleurs à la toute fin de son parcours, le 1er octobre 1918. Après le combat de Joncourt, sur la ligne Beaurevoir-Fonsomme, Wilfred Owen est recommandé pour cette Military Cross qu’il n’aura jamais l’occasion de porter. Pour autant, on reste loin des exploits ahurissants d’un Siegfried Sassoon, qui lui vaudront le surnom explicite de Mad Jack. De même, Owen n’apprendra jamais sa nomination effective au grade de full lieutenant. Quant à sa mort probablement héroïque – on doit insister sur l’adverbe – à Ors, le 4 novembre de la même année, les circonstances en demeurent encore aujourd’hui nébuleuses, aucun témoin ne s’étant révélé en mesure d’assurer que le poète était mort sur la berge du canal de la Sambre ou lors d’une tentative de traversée.

Seule la date de son décès, sept jours avant l’Armistice, par l’ironie amère qu’elle déploie, serait de nature à susciter un intérêt apitoyé. L’arrivée du télégramme fatidique chez les parents, à Shrewsbury, alors que sonnent les cloches et dansent les foules, ne ressemble-t-elle pas à une scène à faire qu’on hésiterait, tout de même, à placer en conclusion d’un mélodrame larmoyant ?

Non, plus que jamais, la survie de Wilfred Owen réside dans sa poésie, même si sa carrière militaire – en dépit d’une rumeur tenace propagée par ses propres amis, Robert Graves et Charles Scott Moncrieff en tête, évoquant une imaginaire accusation de couardise par son chef de corps – lui offre une caisse de résonance tout à fait appropriée.

On a bien dit poésie et non poèmes. Le distinguo, moins subtil qu’il n’y paraît, est d’importance pour notre essai de démonstration. Il y a en effet chez Owen un faire qui dépasse les simples produits de ce faire, et ce faire, c’est tout simplement son art poétique. Par comparaison, il n’est que de prendre l’un ou l’autre exemple du contraire. Ainsi, la brève carrière littéraire de l’américain Alan Seeger (1888-1916), malgré les rééditions, demeure-t-elle tout entière contenue dans son I Have a Rendezvous with Death. Un sort comparable caractérise Roland Leighton (1895-1915), dont la mémoire collective ne conserve guère que son Violets from Plugstreet Wood. Exemple fameux entre tous, John McCrae (1872-1918) ne demeure que grâce à la carrière symbolique du coquelicot, qu’il initie sans le savoir, et la première strophe d’un In Flanders Fields tronqué, censé nous faire croire aux vertus d’un pacifisme qu’en fait il réprouvait.

Appliqué aux vers de Wilfred Owen, ce phénomène d’extrême concentration aurait sauvé, peut-être, une pièce au message plus puissant que la facture, comme par exemple Anthem for Doomed Youth (1917). Il n’en fut heureusement rien. Aussi mince soit-il – ce qui peut se contester quand un auteur meurt à vingt-cinq ans -, le corpus owénien permet de discerner une évolution et des tendances parfois contradictoires, traduites dans des poèmes à la fois aboutis et variés, par la forme et le fond, dont une dizaine au moins constituent les fleurons connus et, pour beaucoup, immédiatement identifiables. Pour composer son War Requiem de 1962, Benjamin Britten avait besoin d’une voix unique, mais maîtrisant aussi des registres multiples. Comment aurait-il pu dénicher ailleurs que chez Owen, dans l’œuvre de contemporains pourtant nombreux, neuf pièces de qualité égale mais aux couleurs très diverses ?

Ce qui nous amène tout droit à un autre problème qui, selon moi, n’en est pas un. Il est tout entier circonscrit dans le syntagme war poet, exactement traduit en français, bien que la transposition en augmente encore le caractère réducteur, par poète de guerre. Précisons qu’en langue anglaise, l’expression a désigné et désigne toujours communément – l’adverbe pose question – un groupe de poètes très divers, ayant pratiqué leur art à l’époque du premier conflit mondial et en plein cœur de celui-ci. Selon l’Oxford English Dictionary, le war poet se définit en effet comme « a poet writing at the time of and on the subject of war, especially one on military service during World War I.»

 Voilà qui, on le constate, définit une catégorie vaste, uniquement préoccupée de thématique et de chronologie. Elle n’est donc pas artistiquement discriminante. La poésie de guerre, prise comme catégorie, ouvre donc la porte à tous les amalgames. C’est d’ailleurs ce qu’affirme le critique Robert Richman, au détour d’un article consacré en 1990 aux poèmes de Sidney Keyes : ‘war poet‘—a dubious designation that is often invoked to lend a moral edge to a writer whose work cannot stand up well in poetic terms » (Ruined Squire, The New Criterion, March 1990).  Cela, on l’aura compris, pour mieux exonérer l’objet de son étude d’une qualification in fine fort réductrice. Une qualification dont on ferait, a fortiori, volontiers grâce à Wilfred Owen.

Parmi les poètes de guerre ou supposés tels, certains en réchappèrent et continuèrent de bâtir, avec des bonheurs variés, une œuvre plus ou moins importante. D’autres, comme Ivor Gurney, disparurent assez vite du champ littéraire, mentalement détruits par leur expérience. D’autres encore n’y survécurent pas et ne purent donc voir leurs œuvres liées à la guerre publiées sous forme de recueils posthumes. À tort ou à raison, tous n’eurent pas droit aux honneurs d’une longue postérité. Par comparaison, on mentionnera le nombre moins important de poètes britanniques actifs lors du deuxième conflit mondial. La critique les verse néanmoins, eux aussi, dans ce genre à part entière que serait la poésie de guerre. Il semblerait donc que les authentiques war poets aient été actifs entre 1914 et 1945, frontières temporelles définitives d’une classification peut-être enfin close. Un chiffre, pourtant très français, donnera la meilleure mesure de l’importance que revêtent, en littérature anglaise, ces fameux poètes de guerre. Dans l’Anthologie bilingue de la Poésie anglaise – parue en 2005 chez Gallimard, dans la collection de la Pléiade -, dont le panorama exhaustif part de Beowulf , soit du VIIe siècle, pour aboutir à Simon Armitage, né en 1963, ce ne sont pas moins de onze war poets que l’on retrouve, dont l’œuvre demeure vivante pour des raisons, on insistera sur ce point, expressément littéraires.

Par l’effet d’un étonnant contraste, l’expression poète de guerre n’a jamais revêtu, en Francophonie, le même caractère de catégorie consacrée par l’histoire littéraire. On en prendra pour meilleur exemple un Guillaume Apollinaire, qui n’avait pas attendu le conflit pour trouver sa voie, sa voix et un public. Il y aurait donc, en matière de guerre et de poésie, une sorte d’exception culturelle britannique.

Sachant ce qui précède, Wilfred Owen est-il un « war poet » ? La réponse est : oui. Mais aussitôt, il convient de préciser, voire de corriger tout ce que le syntagme peut avoir de réducteur. Dans cette perspective, il faudra donc modifier notre réponse. Et remplacer le oui par un oui, aussi. Car si le syntagme war poet, par son premier terme, définit une catégorie temporelle et un cadre, il transformerait alors le poète qui en serait affublé en témoin d’époque, avec cette conséquence dommageable que la matière historique se mêlerait intimement, jusqu’à l’occulter, à un substrat littéraire strictement daté. Tout universalisme en serait de facto banni, et le fond éclipserait la forme, devenue explicitement secondaire. Si ce premier terme, war, davantage qu’à une temporalité, renvoie à l’universalité persistante du conflit dans l’expérience humaine, nous serons sans doute plus proches d’une justice rendue à Owen, mais dont il faut dire alors que la justification est accidentelle. Il n’est que de lire ses œuvres complètes, fragments compris, pour admettre que Wilfred Owen, s’il se lança dans l’aventure poétique dès son plus jeune âge, ne trouva sa voix et – disons-le tout net – une première véritable originalité, qu’après son entrée tardive dans la Première Guerre. Cependant, la lecture de sa correspondance et les témoignages de ses proches laissent planer peu de doutes sur le fait que, riche de cette expérience extrême, s’il avait survécu, Wilfred Owen aurait persévéré sur la voie poétique.

Bien sûr, nous ne saurons jamais quelle direction son œuvre aurait prise alors. Certains cyniques iront même jusqu’à prétendre que sa mort tragique, à l’extrême fin du conflit, l’aura peut-être sauvé d’un possible déclin. À ce propos, on évoque souvent la baisse d’intensité notée chez un Siegfried Sassoon qui, pour son bonheur et le nôtre, se tourna davantage vers la prose, y retrouvant les qualités mordantes d’une ironie auparavant réservée à sa poésie. Bref, si la carrière littéraire de Wilfred Owen commence vraiment durant le conflit et s’achève en même temps que lui, il nous semble que d’autres titres l’appellent à survivre que celui de poète en uniforme. Par la qualité étourdissante et novatrice de sa versification, par l’urgence des émotions véhiculées et la diversité des registres utilisés – allant de la colère sourde à l’apaisement élégiaque -, par les notations dantesques propres à son imagerie, Wilfred Owen nous semble mériter, comme Robert Graves le proclama naguère à la grande joie de l’intéressé, l’appellation de poète tout court.

On peut donc dépasser les effets d’une classification réductrice et facile, prisée des assembleurs d’anthologies. Pourtant, selon qu’ils privilégient l’un ou l’autre versant de l’œuvre, soit qu’ils adoptent la vision davantage politique du poète militant – avec l’aval de l’intéressé, qui se donne lui-même, sans ambiguïté, un rôle d’avocat (as well as a pleader can [CL, 580]) dans sa lettre du 4 octobre 1918 – ou, au contraire, selon qu’ils insistent plutôt sur les qualités par endroits élégiaques et contemplatives du verbe owénien, l’amateur comme l’analyste posent un choix, volontaire ou non, selon des dosages variés. À chacun son Wilfred, disions-nous. Les préférences qu’il exprime par rapport à tel ou tel poème permettent de situer le lecteur, qui règle le curseur entre ces deux pôles pas nécessairement antithétiques. Du côté de la révolte quasi-sassoonienne, de l’indignation et de la contestation, on trouve par exemple des pièces explicites comme Dulce et decorum est ou Smile, Smile, Smile. À l’autre extrémité du spectre paraissent des pièces moins directement dénonciatrices, au message plus complexe, aux images parfois mystérieuses, intrigantes, préférant le questionnement à l’affirmation et chantant davantage le recueillement que la nécessaire indignation. Élégies ou péans, Strange Meeting et Exposure rendent, en effet, un tout autre son que les poèmes peu ou prou militants de Wilfred Owen. Pour autant, l’œuvre presque entière repose sur le mélange savant, varié et évolutif de ces deux attitudes.

En cela, elle reflète bien la personnalité riche de Wilfred Owen, les multiples facettes d’un poète en fin de compte malaisément classable et, de ce fait, malaisément récupérable. Pour les penseurs binaires, comment réconcilier en un seul homme, d’une part le pacifiste profond, soutien de Siegfried Sassoon dans ses audaces contestataires, ami de la fratrie Sitwell, détracteur des poètes cocardiers à la Jessie Pope et, d’autre part, l’officier scrupuleux, dévoué à ses hommes mais avide de reconnaissance qui écrit, le 25 avril 1917, après avoir passé de trop longues heures dans l’abri inondé qui lui inspirera le poème The Sentry, cette critique à peine voilée : I think that the terribly long time we stayed unrelieved was unavoidable; yet it makes us feel bitterly towards those in England who might relieve us, and will not  (CL, 452)? On le comprend, la richesse de la poésie procède aussi de la complexité de l’homme-poète. Et si la parole de Wilfred Owen survit, c’est sans doute aussi parce que la qualité de son chant déborde, et de fort loin, les limites que l’on voudrait imposer à son message.

Pourtant, davantage peut-être que sa poésie, le personnage de Wilfred Owen a fait, et continue de faire l’objet de tentatives de récupération, bienveillantes le plus souvent, malveillantes en de rares occasions. Ainsi, l’homosexualité réelle ou supposée de l’homme suscite-t-elle, parmi les biographes, des débats discrets, voire embarrassés. Premier d’entre eux, Jon Stallworthy, très proche de Harold Owen – le petit frère aux grands ciseaux et au pinceau trempé dans l’encre de Chine, censeur excessif de la correspondance -, zappe carrément le sujet. L’époque s’y prêtait peu et la famille Owen faisait sans doute pression. Bref, circulez, il n’y a rien à voir. Dominic Hibberd, pour sa part, ne fait pas mystère de son opinion. La lecture des poèmes, de la correspondance et des témoignages lui paraît suffisamment éclairante pour définir les inclinations amoureuses de Wilfred. Pour autant, il concède que, si tous les indices mènent pour lui à la même conclusion, rien n’est explicitement avéré quant à la nature de sa sexualité. La lecture de passages tels que cette lettre à Leslie Gunston du 29 octobre 1918 y gagne du même coup tout l’intérêt d’une devinette à double résolution : There are two French girls in my billet, who single me for their joyful gratitude for la délivrance. Naturally I talk to them a good deal; so much so that the jealousy of other officers resulted in a subaltern’s court martial being held on me ! The dramatic irony was too killing, considering certain other things, not possible to tell in a letter (CL, 589). Homosexuel peut-être, homosexuel sans doute, mais fort capable de susciter la jalousie de ses confrères straight. Arrive alors Guy Cuthbertson, dernier biographe en date qui, lui, décèle chez Wilfred Owen le syndrome de Peter Pan, soit une incapacité à accéder, en ces matières, à ce qu’il convient d’appeler l’âge adulte. À la relecture, son hypothèse me paraît aussi crédible que les précédentes. Quant à la mienne, elle tient compte de l’énorme capacité d’admiration dont Wilfred Owen est évidemment doué. Or, pour entrer dans le cercle privilégié des intellectuels et des artistes qu’il vénère, ne convient-il pas pour lui de partager aussi leurs goûts ?

Je passerai très rapidement, et sans documenter, sur un autre type de récupération, naguère entrevu sur la Toile, et qui faisait de notre poète un pédophile notoire. Appuyée sur les expériences pédagogiques de Wilfred à Dunsden et fort maladroitement illustrée par le portrait tiré en 1917 en compagnie du jeune Arthur Newboult, la démonstration boiteuse soulignait surtout la malignité de son obscur auteur, et constituait un exemple malheureux de ce fait avéré : la personnalité et l’œuvre d’Owen, par leur richesse même, laissent le champ libre à de nombreuses revendications.

J’en terminerai sur le sujet en mentionnant cette interview d’un soldat de métier britannique, enregistrée à l’occasion d’un Trooping the Colours et incluse dans le documentaire de la BBC Wilfred Owen : A Remembrance Tale, réalisé par Louise Hooper (2007). Celui-ci déclarait à Jeremy Paxman que Wilfred était l’un des seuls poètes compréhensibles pour les hommes de guerre. L’affirmation n’est peut-être pas fausse, et certainement tout sauf malveillante, mais on se surprend à se demander quel écho elle aurait rencontré chez notre officier aux inclinations pacifistes. N’oublions pas que la poésie d’Owen, longtemps confinée aux cercles d’amateurs lettrés, connut un renouveau et un véritable début de reconnaissance populaire à l’époque de… la guerre du Viêt-Nam ! Ce qui en dit long sur certaines lectures bienveillantes mais, une fois encore, très réductrices de l’œuvre dans son ensemble.

Parvenus à ce point de notre démonstration, nous pouvons donc constater que la parole de Wilfred Owen survit aux déficiences et aux limitations de sa biographie, aux classifications réductrices, aux partis-pris opposés et aux récupérations abusives.

À supposer que cette œuvre dût enfin traverser la Manche bien après que son auteur s’y soit lui-même résolu, il lui fallait encore survivre à une épreuve plus redoutable encore : celle de la traduction. On ne refera pas ici une étude du processus de traduction littéraire. D’innombrables traités et commentaires ont été consacrés à cet inépuisable sujet.

Dès que j’eus découvert l’œuvre de Wilfred Owen, mes velléités initiales de traduction se heurtèrent aux problèmes inhérents à la démarche. Mais ici, l’acuité en était démultipliée. Traduire la poésie, est-ce simplement possible ? Est-ce même souhaitable ? La fidélité au contenu tue la forme et le respect des structures – la rime notamment, mais pas seulement – dévoie le fond. En outre, à force de décortiquer les vers, de les démonter pour les mettre à plat, je découvrais si possible mieux encore la richesse et la complexité des constructions owéniennes, avec leurs assonances multiples, croisées, et leurs rimes intérieuressubtilement agencées. Au fur et à mesure que j’avançais dans ce qui n’était même pas encore un projet de traduction raisonné et assumé, tout en continuant parallèlement à découvrir les pièces moins connues et les nombreux fragments inachevés, l’évidence s’imposait à moi que, bien loin de traduire au sens ordinaire du verbe, il fallait adapter, tenter d’obtenir, non pas un parallélisme absolu de mots et de concepts, mais bien davantage, comme dans un miroir sonore, rendre un écho le plus fidèle possible de sens, d’émotion et de mouvement.

À l’époque, je ne connaissais que la traduction par Nina Lesieur, parue dans le livret Decca, des neuf pièces incluses par Britten dans son War Requiem. Je dois avouer que cette traduction me laissait sur ma faim sans que je pusse – ou voulusse – mettre en doute leur exactitude. Il me sembla même que, si problème il y avait, c’était précisément là qu’il résidait, dans cette exactitude, cette fidélité qui portait tort à la langue-cible, le français. Pour mettre le propos en métaphore, toutes les notes y étaient, mais pas, ou peu, la musique.

Presque malgré moi, un long processus de maturation venait de débuter. Sans doute m’eût-il été utile de connaître les autres traductions déjà existantes alors, et notamment celles de M. Roland Bouyssou. Ma démarche se serait sans doute arrêtée là. Mais dans l’ignorance où je me trouvais, l’aventure présentait un défi passionnant, car l’affaire n’était certes pas gagnée d’avance.

En parlant des sonnets de Shakespeare, qu’il se proposait de transposer vers le français avec toute l’élégance qui caractérisait sa plume, le grand poète belge Marcel Thiry (1897-1977) fit appel au mot attouchement, dont la justesse lui valut d’apparaître dans le titre même des poèmes qui couronnèrent son entreprise (cf. Attouchements des Sonnets de Shakespeare, De Rache, 1970). Très vite, voire immédiatement, dès mes premiers essais – dont je n’imaginais pas qu’ils tomberaient un jour sous les yeux d’un quelconque lecteur -, je compris le parti similaire qu’il me faudrait prendre si je voulais trouver quelque plaisir à mon travail et, ultimement, servir l’œuvre à laquelle, au sens presque militaire du mot, je m’attaquais.

Ma démarche n’avait de sens, comme je l’ai dit plus haut, que dans l’adaptation. D’autres que moi l’ont dit et répété : quand il s’agit de transposer une langue non latine, dont le découpage du champ lexical et l’agencement syntaxique, pour n’être pas absolument différents du français, s’en écartent à bien des égards, la traduction implique toujours, à l’une ou l’autre étape du processus, une manière de choix. La trahison traditionnellement attribuée au traducteur – on ne répétera pas l’adage – se manifeste, non par une quelconque forme de mensonge, mais par un jeu complexe d’omissions et d’ajouts, dans lesquels le coupable veut voir des précisions. La poésie y surimpose des contraintes formelles bien souvent insurmontables, sinon en recourant à des déplacements devenus nécessaires si le traducteur vise à la conservation résiduelle d’une musique menacée de disparition.

Entre le fond et la forme, entre le propos et sa structure, le traducteur, selon sa sensibilité et, surtout, celle qu’il prête au poète traduit, doit perpétuellement, de vers en vers, de strophe en strophe, déplacer le curseur. La tâche, il s’en rendra vite compte, tient de la gageure et ne dépassera jamais, même imprimée sur papier hollande, le stade de la tentative éternellement améliorable. Autant l’avouer : en poésie, l’ego déjà modeste de son auteur dût-elle en souffrir, toute traduction prétendue définitive constitue une imposture. Mais, pour la parole owénienne, c’est le prix de la survie ou, pour le dire avec davantage d’exactitude, de la survie simultanée d’une forme et d’un fond à jamais indissociables.

C’est peu dire que la traduction de Wilfred Owen vaut à l’inconscient ou au prétentieux qui s’y attelle davantage de déceptions et de remords que de félicités. Pour un seul bonheur rencontré – lequel semble toujours le fruit d’un improbable hasard – que de frustrations à jamais irrésolues, en dépit des rééditions et de leurs possibles corrections. Parfois, de probables maladresses dans un original lui-même inachevé permettent au traducteur de s’exonérer. Ainsi, que faire en français de ce vers pas trop bien balancé, extrait de Strange Meeting : None will break ranks, though nations trek from progress (CPF1, 148), sinon un très faible et surtout trop long – cinq pieds surnuméraires – Aucun ne rompra les rangs, les nations fuiraient-elles le progrès (ECLC, 71)? Le fond est sauf, la forme souffre !

Au contraire, dans le même poème, les deux vers qui suivent : Courage was mine, and I had mystery,/Wisdom was mine, and I had mastery se prêtent à une transposition quasiment parfaite, de la forme comme du fond : J’avais le courage et j’avais le mystère,/J’avais la sagesse et j’avais la maîtrise. En remplaçant la forme prédicative anglaise par une déclaration de possession, l’assonance du vers original est déplacée mais conservée (j’avais/j’avais), alors qu’un trop grand respect de l’original (le courage était mien/la sagesse était mienne) la compromettrait.

Ce n’est là qu’un minuscule exemple parmi des centaines d’autres dont certains, d’ailleurs, continuent à compromettre mon rêve d’une traduction intégrale des poèmes. Même augmentée, la deuxième édition du recueil intitulé Et chaque lent crépuscule, parue en 2012, n’offre toujours qu’un survol incomplet de l’œuvre poétique, rythmé par des échos issus de la correspondance. Autrement dit, le choix opéré reflète aussi une provisoire impuissance dans le chef du traducteur. Car certains poèmes résistent à mes velléités de transposition. Je pourrais certes en donner une version lexicalement correcte, mais insuffisante car, selon un critère ardu à définir, peu inspirée.

Continuellement, le traducteur de poésie, dès qu’il n’est tenu par aucune obligation éditoriale particulière, doit selon moi se poser la question suivante : ma version, tout imparfaite qu’elle soit, approche-t-elle d’aussi près que possible, sans perte exagérée de fond et de forme, le modèle original ? Faute de parvenir à ce résultat, la traduction n’aura guère plus de valeur qu’une série de sous-titres tels qu’on peut les lire au bas d’un écran de cinéma ou de télévision.

Dans l’approche adoptée, nul doute que la forme souffre bien davantage que le fond. Sauf heureuse coïncidence, la rime est perdue ; les allitérations, dans le meilleur des cas, déplacées ; le mètre gauchi et déréglé ; et si l’on creuse encore, ce qui fait sans doute une des plus puissantes originalités du vers owénien, la pararhyme selon la définition qu’en donne Edmund Blunden, si peu adaptable en français, s’évanouit. Le traducteur en arrive à se réjouir quand, transposant les vers inauguraux de Anthem for Doomed Youth (CPF1, 99): What passing-bells for these who die as cattle ? / Only the monstrous anger of the guns./ Only the stuttering rifles’ rapid rattle /Can patter out their hasty orisons , il parvient à faire rimer, au prix d’un déplacement, les canons (guns) et les oraisons (orisons).

Ce traducteur a parfois plus de chance, comme quand, dans le fragment I saw his round mouths’s crimson (CPF1, 123), toujours au prix de déplacements, il peut rendre au poème un aspect partiellement rimé, et peut jouer sur des assonances le plus souvent impossibles à replacer dans une version française du texte. Je cite directement ma version :

 J'ai vu foncer la pourpre de sa bouche ronde quand elle tomba
    Tel un soleil profond en sa dernière heure.
 J'ai contemplé, magnifique, le recul de l'adieu,
    Nuages, demi-jour, demi-pénombre,
 Et le firmament de sa joue embrasé d'une ultime splendeur.
    Et dans ses yeux
 La lumière des froides étoiles, très vieilles, très pâles,
    En des cieux différents. (ECLC, 31) 

Dans la version originale, hour ne rime évidemment pas avec splendour mais bien glower, de même que eyes ne répond pas à farewell mais annonce le skies final. Pour couronner ces dévoiements plus ou moins discrets, le traducteur s’offre même une assonance, laquelle devient même rime interne, entre étoiles et pâles. Par ce biais, ne tente-t-il pas de créer un écho avec l’effet perdu du rapprochement, au quatrième vers, de gleam et glower ?

La comparaison seule permet d’en juger :

 I saw his round mouth's crimson deepen as it fell,
 Like a sun, in his last deep hour;
 Watched the magnificent recession of farewell,
 Clouding, half gleam, half glower,
 And a last splendour burn the heavens of his cheek.
 And in his eyes
 The cold stars lighting, very old and bleak,
 In different skies.(CPF1, 123) 

Et c’est là qu’un truc éditorial permet au traducteur de se rassurer. Ce qui s’avérerait impossible, ou fort coûteux d’un point de vue économique, pour le roman ou toute forme littéraire longue, devient parfaitement réalisable en poésie : l’édition bilingue, où la version originale apparaît en regard du texte traduit. Dans l’esprit du traducteur, cette façon de procéder, puisqu’elle expose au grand jour, côte à côte en quelque sorte, l’original et son imparfaite copie, lui donne la certitude de jouer franc-jeu. Puisque, tout de même, la langue anglaise est mieux connue en Francophonie que le letton ou le coréen, possibilité est laissée au lecteur, à tout moment, d’exercer un contrôle sur la tentative qu’il est en train de lire. Dans cette configuration, aucune des ficelles employées par le traducteur, aucun des raccourcis pris par lui, aucune des surcharges apportées, aucunes des erreurs même qu’il a pu commettre n’est dissimulée aux yeux du lecteur averti. Pour autant, le coupable n’y gagne qu’une conscience apaisée, car il ne saurait être question d’exonération ni de pardon. Le lecteur, pour sa part, se voit invité, pour peu qu’il en ait la capacité, à exercer son esprit critique et abandonner un peu de sa confortable passivité. À lui de s’assurer que, s’il a affaire au traître de l’adage, ce dernier fait au moins preuve, sinon d’expertise, du moins de bienveillance dans la perpétration de son forfait.

Car des traducteurs et des traductions, il en viendra d’autres. Si la finition ou la complétude d’une œuvre littéraire, aux yeux de son auteur, n’est que rarement acquise, la traduction, elle, demeure à jamais un chantier amené à évoluer selon les pratiques, les théories, les mentalités et les modes du temps. Des traductions d’Owen existaient avant les miennes, d’autres viennent et d’autres viendront. Il faut s’en réjouir.

Mais avant de clôturer ce trop long aspect de mon exposé, et puisqu’il est ici question de survie, je me dois de mentionner un danger spécifique, auquel succombent nombre de jeunes traducteurs enthousiastes – mais ceci concerne aussi un fort contingent de leurs aînés.

L’activité littéraire de Wilfred Owen s’est située dans certains biotopes – si j’ose le substantif – bien définis, durant une période de l’histoire précisément délimitée et décrite par les historiens. Ceci a pour conséquence qu’une éventuelle méconnaissance de la société, des mentalités, des techniques – ici, militaires – et des représentations du temps, lesquelles ont peu ou prou constitué le creuset d’une vie et d’une production littéraire originale, peut dénaturer, fondamentalement ou dans le détail, le cœur vivant du message en le tirant vers une contemporanéité indésirable et, surprise, jouant les Procuste de service, peut chercher à se dédouaner sous prétexte d’universalité.

Par exemple, naguère requis par mon éditeur afin d’évaluer la bonne tenue d’un roman traduit du serbe, lequel proposait un kaléidoscope de situations, sorte de précipité du premier conflit mondial vu de façon panoramique, je tombai notamment sur un passage où, avec l’aval des militaires prussiens, Lénine embarquait, texto, à bord d’un wagon blindé. J’ignore comment se dit plombé en serbo-croate, mais certaine qualité métallique a dû troubler la confiance du traducteur, sans doute peu féru d’histoire, et l’amener à recourir à un syntagme qu’il connaissait.

La poésie et la prose de la Première Guerre sont menacées par l’à-peu-près et le cliché, et ce danger va croissant. Ainsi ai-je parfois entendu crépiter, dans The Last Laugh d’Owen, des mitraillettes qui feront leur tardive et discrète apparition fin 1918 et ne seront jamais des machine-guns ! Plus répandue encore, la polysémie du bomb anglais, désignant aussi bien une grenade qu’une bombe au sens propre, est régulièrement ignorée des traducteurs français qui, du coup, transforment maint troupier en hercule susceptible de faire pâlir le meilleur lanceur de poids. Même la remarque de Wilfred, notée le 21 septembre 18 – I have been appointed bombing officer to the battalion. Nota bene I know nothing specially about bombs (CL, 578) , n’absoudra qu’en partie le traducteur fautif. Enfin, je redoute depuis quelque temps la première apparition du terme franco-français poilu dans un poème traduit. Dans l’esprit du futur coupable, il n’y aura hélas sûrement pas là matière à fouetter un chat, quitte à commettre du même coup un authentique non-sens.

Au point où nous en sommes, nous avons vu que pour survivre et s’épanouir, la parole poétique, et donc celle de Wilfred Owen, devait louvoyer, par ses moyens propres, entre une impressionnante quantité d’écueils. J’ai tâché de les nommer et d’en opérer un essai de catégorisation. Biographies incomplètes ou tronquées, classifications réductrices, récupérations bienveillantes ou malveillantes, traductions hésitantes ou actualisantes…

Mais la survie étant acquise, comment cette parole se diffuse-t-elle ? Comment, et sous quelles formes, atteint-elle les lecteurs et, parmi ceux-ci, les autres créateurs ? Passe-t-elle à la postérité sous forme de canon – excusez la métaphore – définitivement figé par la critique et les éditeurs, et sanctionné par une interprétation consensuelle ?

On ne tentera pas ici une étude consacrée aux diverses éditions des poèmes et de la correspondance, et on se gardera bien de documenter leur sort en librairie, en bibliothèque ou sur la Toile. Tout cela concerne ce que j’appellerais, en littérature, le circuit classique de la reconnaissance ou de l’oubli des œuvres publiées.

Par contre, si l’on veut bien souscrire à cette opinion discutable selon laquelle le nombre d’imitateurs, d’épigones ou de suiveurs mesurerait la vitalité de ces mêmes œuvres, on pourrait alors poser que la survie de la parole owénienne était tout sauf garantie a priori.

En contre-exemple, on mentionnera les war poets les mieux connus et reconnus de la Deuxième guerre mondiale. Ainsi, le Gallois Alun Lewis (1915-1944) va-t-il puiser une part non négligeable de son inspiration première chez son prédécesseur Edward Thomas (1878-1917), dont le verbe élégiaque et les visions intimistes de la nature se voient transportés, presque sans travestissement, de la verte Angleterre de l’aîné aux touffeurs birmanes dans lesquelles combat le cadet. Surtout, le grand Keith Douglas (1920-1944), probablement le meilleur poète révélé puis anéanti par le conflit, avoue sans détour, dans une de ses meilleures pièces, Desert Flowers (1943), la dette qu’il entretient envers Isaac Rosenberg (1890-1918): Living in a wide landscape are the flowers – / Rosenberg I only repeat what you were saying (KDCP, 108). Mais si ce vers n’existait pas, la qualité baroque de certaines images, l’indifférence de façade affichée en bravade ironique, commune à des pièces écrites à 25 ans d’écart telles que Dead Man’s Dump (1917) et Vergissmeinnicht (1943), suffiraient pour établir entre les deux auteurs une indéniable parenté de sensibilités, sinon de technique.

Or, chose étrange, l’histoire littéraire, même la plus exhaustive, ne reconnaît à Wilfred Owen aucun descendant direct revendiqué, ni aucun disciple attaché à perpétuer son verbe. Si sa parole survit, c’est donc à ses vertus uniques qu’elle le doit, et non aux enseignements de quelque école, mouvement ou coterie littéraire venue après lui. Certes, dès le début, l’œuvre a drainé un courant d’admirateurs au flux très variable selon les époques. Pour autant, cette parole ne s’est pas reproduite au sens strict et l’influence qu’elle a pu exercer sur d’autres créateurs demeure donc diffuse, subtile et peu discernable. Si tel est véritablement le cas, il faut sans doute en chercher la raison dans le fait que cette influence agit davantage en profondeur.

Il ne faut toutefois jamais jurer de rien. Tout à l’heure, en parlant de traduction, j’évoquais les attouchements auxquels elle procède. Marcel Thiry, pour un même résultat, aurait d’ailleurs pu choisir le terme effleurement. Cette fois, histoire de moduler mon affirmation précédente, je parlerai des affleurements souvent surprenants de l’œuvre owénienne, qu’il m’a été donné d’observer, pour ainsi dire à la volée, dans quelques productions de ses successeurs. Preuve s’il en fallait que la survie, ici, peut se manifester par le biais de remontées probablement inconscientes.

Parmi les war poets de la Seconde Guerre mondiale, si l’on place à part les grands formats que sont Keith Douglas et, dans une moindre mesure, Alun Lewis, on trouve quelques artistes auxquels on ferait injustice en les qualifiant de mineurs, mais qui n’eurent pas le temps de donner toute leur mesure avant leur disparition brutale. Le jeune Sidney Keyes (1922-1943) trouva le temps de gagner le prix Hawthornden 1943 avant de périr en Tunisie au bout de trois semaines au combat. Son presque exact contemporain Drummond Allison (1921-1943) fut tué aussi rapidement sur les rives du Garigliano. Quant au major John Jarmain (1911-1944) – car il semblerait que, dans les années 40, les poètes montent plus vite en grade, à l’instar du capitaine Douglas -, sa mort en Normandie ne lui laissa aucune chance de voir publiés son unique roman, Priddy Barrows (1944), et son tout aussi unique recueil. Sur les 41 pièces que contient celui-ci, 23 sont présentées comme War-time Poems proprement dits.

Entre Owen et Jarmain, on ne peut déceler qu’un seul point commun biographique et géographique : la ville de Shrewsbury, où vécut longtemps le premier, où le second acheva ses études secondaires. Pour le reste, peu d’affinités, peu de ressemblances existent entre les deux hommes. Owen veut étudier la littérature à l’université mais ne peut y accéder, tandis que Jarmain, tout en prisant les lettres, étudie les mathématiques à Cambridge. A priori, leur parcours guerrier n’a, lui non plus, rien de comparable. Pour l’un, la boue de la Somme et du Cambrésis, le froid des premières lignes et les paysages oblitérés ; pour l’autre, le sable du désert, ses chaleurs torrides, ses tempêtes sèches et les ruines romaines surgissant au détour des dunes.

Mais ces différences ne sont que de surface, et si l’art poétique de Jarmain, ennemi de l’effet gratuit et de toute sophistication inutile, n’atteint pas toujours les hauteurs du lyrisme owénien, il est au moins un endroit où l’œuvre de l’aîné – même si Wilfred meurt plus jeune que Jarmain – affleure dans celle du major mathématicien. À travers le poème intitulé Embarkation, daté par Jarmain de 1942, le lecteur doué de mémoire et de sensibilité ne pourra que déceler un écho, pour partie contrasté, de la pièce intitulée The Send-Off, écrite par Owen en 1918.

Qu’on en juge à la lecture des 13 premiers vers d’Owen et des 8 premiers de Jarmain.

D’abord Owen :

 Down the close darkening lanes they sang their way
 To the siding-shed,
 And lined the train with faces grimly gay.
 Their breasts were stuck all white with wreath and spray
 As men's are, dead.
 Dull porters watched them, and a casual tramp
 Stood staring hard,
 Sorry to miss them from the upland camp.
 Then, unmoved, signals nodded, and a lamp
 Winked to the guard.
 So secretly, like wrongs hushed-up, they went.
 They were not ours:
 We never heard to which front these were sent.(CPF1,172) 

Ensuite Jarmain :

 
 In undetected trains we left our land
 At evening secretly, from wayside stations.
 None knew our place of parting ; no pale hand
 Waved as we went, not one friend said farewell.
 But grouped on weed-grown platforms
 Only a few officials holding watches
 Noted the stealthy hour of our departing,
 And, as we went, turned back to their hotel. (JJP, 18) 

La parenté entre ces deux extraits se révèle à plusieurs niveaux. Chez Owen comme chez Jarmain, nous assistons en parallèle à une scène identique, décrivant l’embarquement et le départ de troupes à bord d’un train. Il y a d’abord unité de temps, soit la tombée du soir : darkening lanes chez Owen ; at evening chez Jarmain. Des deux côtés, le départ se place sous le signe du secret, du caché, comme le soulignent l’adverbe secretly, l’adjectif hushed-up chez Owen ; undetected, secretly, stealthy note Jarmain, qui précise : none knew our place of parting. Cet embarquement prend place dans un lieu écarté du système ferroviaire, dépourvu de tout prestige : siding-shed chez Owen ; wayside stations et weed-grown platforms chez Jarmain. Les témoins de la scène sont au mieux curieux, au pire indifférents, voire impatients de s’en aller : dull porters watched them, and a casual tramp stood staring hard chez Owen, où même les signaux restent unmoved ; tandis que chez Jarmain, only a few officials holding watches […] as we went, turned back to their hotel. Il n’est pas jusqu’au vocabulaire utilisé par les deux poètes qui ne contribue au rapprochement des deux narrations.

Mais le jeu de miroirs peut aussi rendre des reflets presque exactement inversés, témoignant que les deux hommes ne partagent ni la même époque ni le même conflit. Là où les militaires de Jarmain ne connaissent pas le lieu d’où ils partent, tout indique au contraire qu’ils connaissent leur destination, Egypte ou Cyrénaïque. Chez Owen, le mystère entoure le but du voyage. Les témoins anonymes du départ confessent une ignorance sans doute partagée, laquelle contribue d’ailleurs à leur distanciation par rapport aux voyageurs : we never heard to which front these were sent. Écrit en 1918, le poème d’Owen fait probablement allusion à un souvenir antérieur car, autre différence notable, si le départ du train se place sous le signe de la discrétion, un épisode de liesse populaire l’a précédé : their breasts were stuck all white with wreath and spray. Le chant des troupiers – they sang their way – en constitue l’ultime et dérisoire reliquat. En 1942, en revanche, l’enthousiasme général n’est plus de mise et ceux qui partent n’en conçoivent d’ailleurs aucune amertume. Il y a là un contraste parfait : no pale hand waved as we went, not one friend said farewell. La charge critique se déplace donc, des femmes qui distribuent des fleurs aux soldats dans le texte d’Owen – lesquelles apparaissent quelques vers plus loin -, aux officiels pressés de rejoindre leur hôtel chez Jarmain. Et quand, parmi les troupiers d’Embarkation, au vers 20, l’un d’eux cast a timid wisp of song au moment de monter dans le bateau qui les emporte, le chant qui s’élève alors a perdu l’innocence des commencements, et s’il ravive les courages c’est, face au désespoir qui menace, pour proclamer la solidarité de ces vies fragiles.

On le voit, même les dissemblances sonnent tels des échos. Pourtant, à la lecture des deux poèmes, pas un seul instant la notion d’imitation, et moins encore de plagiat, ne vient à l’esprit, mais bien plutôt le sentiment que, chacun à son époque, à vingt-deux années de distance, deux poètes ont su saisir, avec des sensibilités originales et des savoir-faire différents, le sens profond d’une situation parallèle, reproduite, chacune certes singulière et datée, mais ouvrant à sa manière sur l’universalité du destin humain.

Voilà ce qui toujours, dans un monde idéal, devrait garantir la survie d’une parole.

Voilà ce qui explique sans doute, en partie du moins, cet affleurement ponctuel, aussi naturel qu’évident, d’une œuvre ancienne à la surface d’une œuvre plus moderne.

On le voit donc, la parole poétique peut survivre à tout – aux classifications réductrices, aux récupérations abusives, aux traductions infidèles – et, en prime, à force d’épouser les courants profonds d’une émotion sans âge véritable, elle peut s’inviter en passagère clandestine dans l’œuvre d’autres créateurs.

C’est tout le mal qu’on souhaite aux poèmes de Wilfred Owen.

Xavier Hanotte, octobre 2018

Références Bibliographiques

CL: Wilfred Owen, Collected Letters, ed. Harold Owen & John Bell, London, Oxford, Oxford University Press, 1967.

CPF1: Wilfred Owen, The Complete Poems and Fragments (vol. I The Poems),ed. Jon Stallworthy, London, Chatto & Windus, The Hogarth Press and Oxford University Press, 1983.

ECLC : Wilfred Owen, Et chaque lent crépuscule, trad. Xavier Hanotte, Bègles, Castor Astral, 2012.

JJP: John Jarmain, Poems, London, Collins, 1945.

KDCP: Keith Douglas, Complete Poems, ed. Desmond Graham, London, Faber & Faber, 2000.

Xavier Hanotte est écrivain, essayiste et traducteur de l’auteur anversois Hubert Lampo et du poète anglais Wilfred Owen (Et Chaque Lent Crépuscule, 2001), entre autres. Xavier Hanotte publie son premier roman, Manière noire, en 1995 qui inaugure la série de romans mettant en scène l’inspecteur bruxellois Barthélemy Dussert, lui-même traducteur de Wilfred Owen. Xavier Hanotte publie par la suite une quinzaine de romans, ainsi que des articles sur la poésie britannique et la guerre, ainsi que sur les rapports entre création et traduction. Wilfred Owen demeure la figure emblématique de l’œuvre de Xavier Hanotte, à la fois comme protagoniste occasionnel, objet d’inspiration, de traduction et de réflexion sur le rapport entre la guerre et l’homme.

« Donner un sens Aux Brimborions »

Questions à Emmanuel Malherbert, Poète et traducteur de Wilfred Owen

(propos recueillis par Sarah Montin)

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Vous avez été le premier à traduire une suite de poèmes de Wilfred Owen en français, plus particulièrement les poèmes du livret du War Requiem. Pouvez-vous nous nous dire quand et comment vous avez rencontré Wilfred Owen ? Pourquoi avoir choisi de le traduire en français ?

Bien entendu, les poèmes que Britten a retenus pour son War Requiem, avaient été donnés en version française dans les fascicules accompagnant les enregistrements. Pour ce qui est de la version que je possède (DECCA, L.S.O. 1985) il est clair que la traduction proposée n’avait pour objectif que de restituer le sens des poèmes d’Owen, sans souci aucun de musicalité (ce qui peut paraître, en l’occurrence, un comble) ou de poéticité. On ne peut pas aborder ces poèmes sans partir de la musique, d’autant qu’on est amené à se demander si la musicalité des textes, au-delà des motifs thématiques, n’a pas été pour une part la matrice des choix musicaux de Britten. En outre, si la musique de Britten ménage souvent un équilibre délicat entre les leçons de la tradition et l’attirance pour l’expérimentation, on retrouve chez Owen cette même ambiguïté, ce même tiraillement fécond entre la nécessité d’une rupture dans la manière d’écrire et l’acceptation de motifs plus traditionnels. D’où, peut-être, cette singularité de ton qui le caractérise.

Les « War Poets » sont (presque) inconnus en France ; une recherche bibliographique rapide révèle la quasi absence de traductions. Comment l’expliquer sinon par ceci que la Grande Guerre reste dans l’imaginaire français, même si l’on sait que d’autres y ont pris part, une affaire nationale. Nous avons nos écrivains des tranchées, prosateurs surtout (romanciers, essayistes), dont certains méritent bel et bien leur place au Panthéon des lettres, et il semble que cela suffise à notre mémoire et à notre curiosité. Pourtant, même aujourd’hui, et passées les commémorations du centenaire, il reste en nous quelque chose de cette guerre. Souvent, ce quelque chose tient de la relique : des brimborions (briquet, porte-monnaie, douilles gravées), des lettres, des cartes postales du front, des médailles ; le tout serré dans une boîte que l’on sort d’un tiroir ou d’un bas d’armoire quand la conversation conduit à le faire. Cela, c’est ce qu’il reste d’hommes dont on reconnaît la moustache sur les photos de groupe d’un temps de paix, et dont les corps sont bien souvent restés quelque part du côté de Craonne, de Verdun, d’Ypres… L’implacabilité absurde de la guerre, la poésie d’Owen (comme la musique de Britten) s’en empare, la recueille et vient donner sens à ces brimborions qui attisent en nous le sentiment vif que nous manque quelqu’un que nous n’avons pas connu et que nous n’aurions de toute façon pu connaître, mais qui nous a été pris. Si cette poésie permet cela, si elle donne un sens aux brimborions de la boîte, alors oui, il faut la traduire. Ce n’est pas de la littérature.

Quel est votre rapport à la langue et à la poésie anglaise, en tant que poète et traducteur français ? Quels sont vos poètes anglophones préférés et lesquels avez-vous traduit ?

Je crois que n’importe quel traducteur de l’anglais vers le français (tout particulièrement quand il s’agit de poésie) se trouve confronté à cette difficulté que le français est une langue proliférante, tant pour ses structures logiques que pour son vocabulaire où abondent les termes « longs”, tels ces adverbes de quatre, cinq ou six syllabes qu’impatiemment on cherche à contourner. Manifestement, la langue anglaise, plus chantante, aux pulsions plus vives, invite à une autre musique que celle que permet le français. Faut-il s’y résigner ? Bien entendu, non. Cela n’a guère d’intérêt de traduire «the stuttering rifles’ rapid rattle » par « le rapide crépitement des bégayants fusils[1]» puisque (sans rien dire de l’étrange et douloureuse inversion finale) se perd complètement l’allitération mimétique qui donne au vers toute sa prégnance. Mais aussi, comment restituer cela ? Dussert et Hanotte proposent “les crépitements rapides des fusils[2]» et compensent la faiblesse allitérative du français par la répétition homophonique. 

Il me semble aussi qu’une traduction doit se revendiquer comme telle, c’est-à-dire conserver dans la version d’arrivée quelque chose de la version de départ, plus exactement quelque chose de la langue de départ, comme une marque d’étrangeté. On peut le contester, notamment parce que cela conduit parfois à des formulations pas assez naturelles, un peu trop «engoncées». Mais à vouloir soumettre la version d’arrivée à l’exigence de la «belle langue» on risque fort de perdre totalement la richesse et la singularité de l’original ; autant que faire se peut, il faut chercher à tenir l’équilibre entre trois exigences : celle du sens, ou de ce qu’on pense en avoir saisi ; celle de la prosodie propre de l’original ; celle de la prosodie de la version d’arrivée, laquelle n’a, à mon goût, de valeur que si elle parvient à se construire dans la parenté de la prosodie de l’original. Tenir ces exigences relève parfois de la gageure, mais constitue un principe directeur qui peut être des plus féconds.

On reproche à certaines traductions de n’avoir pas été faites par de véritables poètes (à supposer qu’on sache ce que c’est). Il est vrai que parfois on se trouve confronté à des productions aussi irréprochables quant à la signification qu’impossibles à lire tant elles sont pataudes en ce qui touche au rythme, à la tonalité, bref, à la musicalité du texte. On traduit la poésie avec une oreille de poète, c’est sans doute préférable. Mais pas sans risque non plus. Certains traducteurs, par ailleurs poètes, se sont affrontés à de nombreux et parfois très différents auteurs et ont réussi ce tour de passe-passe de les rendre tous semblables, de sorte qu’on lit la traduction sans jamais rencontrer l’auteur. Traduire, idéalement, ce n’est pas s’écouter soi, c’est écouter l’autre pour peut-être pouvoir enfin s’écouter avec l’autre. Il y faut une oreille de lecteur. Si traduire est bien un acte d’écriture, comme on se plaît fréquemment à le souligner, il n’en reste pas moins que l’auteur de cet acte n’est pas l’auteur à part entière de l’œuvre qui en résulte ; cela devrait imposer une certaine humilité, aussi bien que cela légitime toute entreprise de retraduction.

Il y a chez Owen, comme chez bien d’autres poètes, notamment irlandais, comme Seamus Heaney ou Patrick Deeley, auxquels je m’intéresse, une aptitude, justement, à ne pas « poétiser », à faire venir dans le poème le contraste et la rugosité du monde, à déplacer les frontières de la littérature, jusqu’à parfois tout simplement la rejeter. Lorsque dans son projet de préface à l’édition de ses poèmes Owen écrit « Surtout la Poésie n’est pas mon affaire. / La Guerre est mon sujet, et le malheur de la Guerre », il donne la clé de lecture de son œuvre. On ne cherchera pas les beaux effets (et pourtant il y en a), on trouvera les voies par lesquelles viennent aux mots les insoutenables vérités de la guerre : « les vrais poètes doivent parler vrai », dit-il encore, proche en cela de Sassoon.

♣ Comment avez-vous procédé au choix des poèmes (dans l’édition Cazimi), ainsi qu’à leur ordonnancement ? Les avez-vous sélectionnés selon leur « représentativité », par goût personnel ou par choix d’éditeur ? Regrettez-vous certains choix ou certaines omissions ? 

Autant que je m’en souvienne, les poèmes de l’édition Cazimi sont ordonnés selon leur date (parfois supposée) de rédaction. Je n’ai écarté que quelques pièces, manifestement à l’état d’ébauches, et bien sûr les toutes premières tentatives d’Owen, datant du temps où, justement, il devait encore penser que la poésie était son affaire. On ne devrait jamais oublier qu’Owen est un immense poète de 25 ans, que la maturité d’écriture a été pour lui l’affaire de quelques mois. On ne s’étonne donc pas qu’il y ait au sein de son œuvre des directions diverses, parfois contradictoires stylistiquement. Certains poèmes peuvent plaire (mais est-ce vraiment de cela qu’il s’agit ?) plus que d’autres ; mais je ne pense pas qu’il faille en sacrifier aucun. On peut surtout regretter de n’avoir pas trouvé les clés de traduction qui auraient convenu à tel poème ou à tel passage d’un poème.

♣ Comment percevez-vous le style de Wilfred Owen ? Simple, complexe, grandiloquent, doux et sonore, none of the above ? Comment rend-il, selon vous, en français ? Certains poèmes sonnent-ils « mieux » que d’autres en français ?  

Je ne sais pas s’il y a un style d’Owen. Il y a plusieurs tonalités, différents partis pris, tous visant à l’expressivité et à l’adéquation du poème et de son objet. L’écriture d’Owen peut être élégiaque (« Asleep », « Greater Love »), onirique (« Strange Meeting »), satirique («Smile, Smile, Smile), d’un réalisme appuyé (« Inspection », « The Letter », « The Dead-Beat »), visionnaire (« The Next War »), d’inspiration biblique (« Parable of the Old Man and the Young »), etc. Mais que les choses soient prises au plus proche ou du plus haut, la réalité matérielle et ressentie de la guerre affleure partout, quand elle ne tient pas tout le champ. Même lorsque les choix d’écriture semblent rejoindre des formes déjà éprouvées (parce qu’après tout les influences restent nombreuses, à commencer par celle de Sassoon), il y a toujours chez Owen irruption du prosaïque (couvercle de la gamelle, cicatrices, fourmis…) et de l’intime et cela crée un espace suggestif souvent très large, porté très précisément par l’amplitude terminologique.

♣Quels problèmes avez-vous rencontrés dans la traduction d’Owen ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ? 

On n’est que rarement satisfait d’une traduction, qui plus est quand a passé une vingtaine d’années. On referait bien tout. Pour ce qui est d’Owen, il reste qu’ici ou là il faudrait trancher plus nettement entre les impératifs rythmiques et ceux de sens. Ceci est vrai de nombreux autres poètes, bien sûr, mais ici la gravité du propos rend le choix plus épineux ; on voudrait ne rien laisser tomber. Si l’on en revient au vers déjà évoqué, « Only the stuttering rifles’ rapid rattle », cela donne : «seulement le rapide cliquetis des fusils bégayants», autrement dit pas grand-chose. J’ai pensé résoudre la difficulté par « Rien que le bref crépitement des fusils bègues » en déplaçant l’effet d’allitération sur le début du vers, et aussi sans doute en créant un écho entre « bref » et « bègues », même s’il n’y a là rien de très volontaire. Reste que « fusils » continue de faire problème, au moins un peu, parce qu’il ne s’intègre pas au vers comme peut le faire « rifle » dans l’original anglais. En outre « crépitement » n’a pas la dynamique de « stuttering », mais « cliquetis », qui pourrait aller mieux, ne me semble pas correspondre à ce qui est dit dans le poème.

♣Si nous nous penchons un peu plus précisément sur le titre des poèmes : comment avez-vous traduit « Anthem for Doomed Youth » et pourquoi ? (ce titre en particulier a donné lieu à de nombreuses interprétations, du « Antienne à une jeunesse condamnée » de Louis Bonnerot en 1936, au plus récent « Chant funèbre pour une jeunesse condamnée » dans la Bibliothèque de la Pléiade). Qu’est-ce qui prime dans le choix d’une traduction d’un titre de poème ? 

Dussert et Hanotte ont donné pour ce poème le titre « Hymne pour une jeunesse perdue » ; pour ma part j’ai lâchement évité de traduire « Anthem » et me suis contenté de À la jeunesse sacrifiée. Peut-être, compte-tenu de la place de ce poème dans le War Requiem, faut-il retenir « Antienne », à quoi je préfère « Chant funèbre » ou, beaucoup plus simplement « Prière ».

Les titres des poèmes d’Owen posent en somme peu de problèmes, pour peu qu’on s’en tienne à ce principe que c’est le poème qui engendre le titre. Ainsi, pour le poème « The Show », on pourrait très bien traduire par « La Bataille », Show étant le terme par lequel les soldats désignaient les engagements auxquels ils participaient. Mais le poème d’Owen donne la parole à un mort dont l’âme s’est élevée et contemple les combats : c’est une scène qui est montrée et décrite par une parole résolument panoramique. Pourquoi ne pas traduire par « Théâtre », qui conserve en outre l’ambiguïté avec le théâtre des opérations ?

♣  À quel point votre propre expérience de poète influe-t-elle sur votre traduction ? Diriez-vous que votre voix se superpose à celle d’Owen ? La question des influences vous inquiète-t-elle quand vous traduisez ? (vos propres influences poétiques ou celles d’Owen ; Sassoon, Wilde, Swinburne, etc.) ? 

Pour ajouter un mot à ce qui a été dit plus haut, traduire c’est d’abord lire ; il faut d’abord une oreille de lecteur. Le propre de cette oreille est de savoir entendre des voix différentes et peut-être d’être capable de percevoir l’écart entre ces voix, sans avoir nécessairement à le thématiser. Au moment de traduire, il serait souhaitable d’oublier certaines des voix que l’on connaît le mieux. Pour chaque traduction, on est à un commencement et si tel n’était pas le cas, c’est l’auteur qu’on perdrait. Pour prendre un exemple bien connu, on a longtemps traduit les pamphlets de Swift dans une langue très voltairienne alors que Swift, sans doute très consciemment et presque dans une démarche de second degré, adopte une forme plutôt ratiocinante, proche beaucoup plus des structures argumentatives de la philosophie du XVIIème siècle que de la virtuosité du wit voltairien. Il faut oublier Voltaire pour lire Swift. Il en va de même en poésie ; le traducteur n’est pas là pour se faire voir, pas plus que pour revendiquer son appartenance à telle ou telle chapelle ou école, comme ont fait certains traducteurs de tradition heideggérienne.

♣Avez-vous cherché à rendre l’époque d’écriture ? Ou pensez-vous avez avoir (inconsciemment ou pas) modernisé le style d’Owen ? Comment avez-vous travaillé son rythme, son oralité ainsi que les différents registres de langue présents dans certains poèmes (ce que l’on appelle les poèmes « sassooniens » d’Owen) ? 

Owen n’est pas à ce point éloigné de nous qu’il soit nécessaire de rendre son époque ; je ne crois pas que son style ait besoin d’être modernisé puisqu’il est souvent d’une grande modernité, au sens, encore une fois, où son écriture ne vise pas à plaire mais est au plus haut point l’expression de ce que l’auteur ressent dans et face à la guerre. Le sujet – la guerre – fait le poème ; l’immense talent d’Owen est d’avoir été capable de l’accueillir dans l’agencement particulier de ses mots.

Moderniser, ce serait ici défaire. Il convient seulement d’éviter les anachronismes.

Chaque poème a sa physionomie propre, faite de rythmes singuliers, de niveaux de langues différents voire entremêlés, de tonalités multiples (Owen est par moments un grand lyrique). Que faire d’autre sinon recevoir chacun d’eux dans sa singularité et, justement, rester attentif à cette singularité ? Ne pas le faire serait attendre d’un auteur en devenir qu’il soit parvenu à une homogénéité de ton que certains mettent des décennies à atteindre, quand ils l’atteignent (et à supposer qu’il soit toujours souhaitable de l’atteindre).

♣ Vous avez également traduit Siegfried Sassoon – avez-vous une préférence pour l’un des deux poètes et pourquoi ?

À vrai dire, je trouve Owen plus attachant que Sassoon. Sans doute parce que Sassoon, plus maître de son écriture, est moins imprévisible. Owen fait preuve d’une indécision finalement plus féconde qui laisse entrevoir de multiples possibilités de développement. L’expérience de la guerre a fait d’Owen un véritable poète ; ce qu’il nous a laissé donne à penser que ce poète-là n’aurait pas été un poète de métier.


[1] Traduction DECCA, 1985.

[2] Wilfred Owen, Et chaque lent crépuscule, Le Castor Astral, 2001.


Emmanuel Malherbert has published French translations of William Godwin, Mark Twain, Wilfred Owen, Siegfried Sassoon, and Jonathan Swift. He has also published several volumes of poetry, including: Personne ne poussera la nuit (2010), La forge des arbres (2008), Brocantes (2006), Pour cela (2005) and L’antigel (2004).