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Wilfred Owen: “Les Aliénés”

SARAH MONTIN
Wilfred Owen traduit par Sarah Montin

« Les Aliénés » (1918) 

Qui sont-ils? Pourquoi sont-ils ici, assis au crépuscule ?
Pourquoi se balancent-ils, ombres du purgatoire,
Langue pendante, mâchoires ivres de bave,
Montrant leurs dents qui lorgnent comme des crânes mauvais ? 
Coup sur coup, la douleur les caresse – Mais quelle panique lente
A creusé ces abîmes autour de leurs orbites inquiets ?
Toujours de leurs cheveux, de leurs paumes
La misère sue. Nous somme morts, sûrement, 
Et somnambules, nous marchons en enfer : mais qui sont ces damnés ? 

— Ce sont les hommes dont l’esprit a été ravi par les morts. 
Le souvenir des meurtres : des doigts frôlant leurs cheveux,
Des meurtres innombrables dont ils ont étés témoins
Pataugeant dans les bourbiers de chair, ils errent impuissants,
Piétinant le sang des poumons qui aimaient rire.
Toujours ils doivent voir ces choses, les entendre,
Le fracas des canons, les muscles volés en éclat,
Carnage incomparable, gâchis humain
Trou trop obstrué dont ils ne peuvent s’extraire. 

C’est pourquoi, torturés, leurs globes oculaires reculent
Dans leur cervelle, car sur leur iris
Le soleil semble une trace de sang ; la nuit tombe noir-sang :
L’aube s’épanouit comme une blessure qui s’ouvre encore.
Ainsi leurs visages hilares, hideux, portent
L’affreuse fausseté des cadavres souriants. 
Ainsi leurs mains se pincent, se cherchent entre elles,
Grattant les nœuds des knouts qui les flagellent,
Essayant de nous saisir, nous qui les avons affligés, mon frère,
De nous effleurer, nous qui leurs avons distribués la guerre et la folie. 

«  Mental Cases » (1918)

Who are these? Why sit they here in twilight?
Wherefore rock they, purgatorial shadows, 
Drooping tongues from jaws that slob their relish, 
Baring teeth that leer like skulls' teeth wicked?
Stroke on stroke of pain ‒ but what slow panic,

Gouged these chasms round their fretted sockets?
Ever from their hair and through their hands' palms
Misery swelters. Surely we have perished 
Sleeping, and walk hell; but who these hellish?
‒These are men whose minds the dead have ravished. 
 Memory fingers in their hair of murders,
Multitudinous murders they once witnessed.
Wading sloughs of flesh these helpless wander,
Treading blood from lungs that had loved laughter. 
Always they must see these things and hear them,
Batter of guns and shatter of flying muscles, 
Carnage incomparable, and human squander
Rucked too thick for these men’s extrication.

Therefore still their eyeballs shrink tormented 
Back into their brains, because on their sense 
Sunlight seems a blood-smear; night comes blood-black; 
Dawn breaks open like a wound that bleeds afresh. 
Thus their heads wear this hilarious, hideous, 
Awful falseness of set-smiling corpses.
Thus their hands are plucking at each other;
Picking at the rope-knouts of their scourging; 
Snatching after us who smote them, brother, 
Pawing us who dealt them war and madness.

Wilfred Owen : Poèmes traduits par Emmanuel Malherbet

EMMANUEL MALHERBET
Wilfred Owen traduit par Emmanuel Malherbet

 Revue

«Toi, là! Ca veut dire quoi ?», j'ai braillé.
«Tu oses te montrer comme ça à la revue ?» «
Mais, Sir, c’est —» «La ferme!» a gueulé le sergent.
«Je prends son nom, Sir ?» — «S'il vous plaît, et rompez!»

Quelques jours de «consigne au camp», qu'il a eu,
Motif : «sale à la revue».
Il m'a dit, plus tard : cette sacrée tache,
C’était du sang, le sien. «Eh bien, j’ai dit, le sang est sale…»

«Le sang est sale…», il a ri, a regardé là-bas,
Là où de sa blessure le sang avait coulé,
Et presque à jamais s’était mêlé à la terre.
«Le monde fait sa lessive», il a dit.
«Il n’aime pas tout ce rouge à nos joues :
Le sang de la jeunesse lui déplaît.
Mais quand on sera morts, tous bien blanchis,
Ce sera Dieu, le Maréchal qui nous passera en revue».
                        Août - septembre 1917

À la jeunesse sacrifiée, une prière

Quel glas pour ceux qui tombent comme des bêtes ?
Que la furie monstrueuse des canons.
Que le bref crépitement des fusils bègues,
Bredouillant de rapides oraisons.
Ni prières ni cloches, plus de comédies,
Ni sanglots dans la voix – sinon les choeurs
Déments, les choeurs stridents des obus geignards ;
Et les clairons, qui les appellent de pays désolants.
Pour les accompagner tous, quels cierges tenir ?
Pas dans les mains des gars, dans les yeux
Brillera la sainte petite lueur des adieux.
Pour linceul le front pâle des filles.
Et les fleurs, le silence des pensées attendries,
Et les lents crépuscules des jalousies qu'on tire.
                                                        Septembre – octobre 1917
 Conscience*

Sur le bord du lit les doigts s’éveillent et s’agitent.
Un effort de volonté : les yeux finissent par s’ouvrir ;
L’aident à son chevet les fleurs jaunes du printemps.
Le cordon du store traîne au bord de la fenêtre.
Le sol tellement lisse de cette salle! Et quel tapis!
Qui donc parle là-bas que je ne vois pas ?
Trois mouches tournent sur la carafe luisante.
« Infirmière! Docteur! » – « Oui, voilà! voilà! »
Mais le soir d’un coup brasse et brouille l’air.
Trop tard pour demander de l’eau, on dirait.
L’infirmière paraît si loin. Ici et là de la musique
Et des roses émergent du sombre massacre.
Il ne sait plus où il a vu du ciel bleu.
Des couvertures ! Encore ! Il a froid ! Si froid ! Et si chaud !
Il fait noir : il ne voit pas qui parle à côté…
Trop tard pour demander – il ne sait quoi.
                           Janvier – mars 1918
                           * d’après la version proposée par l’édition Lewis
 Les appels

Une morne sirène enrauquée de brume miaule dans l’aube.
Je regarde le type qu’elle appelle, poussé, tiraillé,
En arrière, en avant, désarmé comme un pion.
          Mais je suis feignant, et ce qu’il fait sans raison.

Aigre et vive, la sonnerie de neuf heures,
Presse l’écolier qui remonte ses chaussettes,
Bouscule la môme attardée en blouse noire.
          Je dois être fou ; j’apprends chez les fleurs.

Dix heures, un triste carillon remue corneilles et colombes.
Je vois le bedeau fermer les portes, et quand
J’entends l’orgue geindre le premier amen,
          Je donne mes répons — comme ceux des pigeons.

Le clairon braillard écharpe mes soirs.
De gauches sections de Tommies piétinent
Tâchant d’aller au pas sur des airs de rag-time,
          Je ne bouge pas ; j’ai déjà fait l’exercice.

Sons et bourdons de gongs, couvercles de gamelles,
Je regarde un goinfre affûter ses crocs en or :
          Se taper moins de pain[1] que de bons morceaux.

Parfois tard dans la nuit la canonnade
Secoue les vitres, et mon pauvre coeur cogne,
Guette les sifflements d’obus, les déflagrations,
          Mais ce n’est pas tout

Car penché sur l’appui hier à minuit,
J’entendais des gars soupirer, qui ne savaient
Dire leur détresse, non, ni ne le voulaient!
          Je connais ces voix : je dois y aller.
                                                         Mai 1918

[1] Une campagne de 1917 demandait à la population d’épargner la nourriture : « Save the wheat and help the Fleet : eat less bread » (Épargnez la farine pour aider la flotte : mangez moins de pain).

Migrant from green fields: Wilfred Owen in France

Introduction

England one by one had fled to France, 
Not many elsewhere now, save under France 
“Smile, Smile, Smile”, ll. 21-3

Wilfred Owen could not anticipate that he too would be among the many who, having “fled” their country to go to war, would find their last resting place under France. Thus he lies in the cemetery at Ors (French commune graced by the construction of the Maison Forestière Owen in 2011), eternally exiled in “some corner of a foreign field”. The 2018 conference “Wilfred Owen and/in France”, organized at the university of Valenciennes with Brigitte Friant-Kessler and in conjunction with the Oxford Center for Life-Writing, wished to celebrate Owen’s French trajectory by offering both a centennial commemoration of his life and a reconsideration of the role France had on his growth as a man and as a poet. 

Already familiar with Brittany through childhood trips with his father, Owen arrived in Bordeaux with “good schoolroom French” (Kerr, 258) in 1913 to teach English at the Berlitz school. From there, he explored the south of France and stayed notably in Bagnères-de-Bigorre in the Pyrenees, only to return in January 1917, this time to northern France and the Somme battlefields. Owen had thus first-hand emotional, linguistic and artistic knowledge of France, something most of his fellow war poets lacked, Sassoon and Graves included. Owen’s undeniable French connections have however never been studied extensively before, outside of punctual references to symbolist and decadent literary influences in his canonical scholarship. This anniversary issue aims to highlight whatever “Frenchness” animated “Monsieur Owen” and if and how this influenced his career as a poet. It also attempts to compensate the relative dearth of French scholarship on Wilfred Owen who, despite being officially memorialized and inscribed in France’s national “Chemins de la mémoire”, has garnered rather scant academic scrutiny and  public recognition over the years to the point where one could say he has not yet been properly received in France. 

This issue of The War and Peace Review thus aims to reconsider the links between Wilfred Owen and France and, conversely, between France and Wilfred Owen. What did France represent to a young Georgian poet who ― unlike his modernist counterparts  quick to adopt France as their literary homeland ― was not enamored with French literature and fought, above all, “to perpetuate the language in which Keats and the rest of them wrote” (CL, 300)? What recognition and posterity does he have in France? Can one speak of a French Owen as there is a French Joyce and even a French Eliot and if not, why? 

The first section of this issue attempts to map the contours of France’s influence over Owen’s poetic trajectory and the maturation of his form and style. Jennifer Kilgore-Caradec’s paper ventures into overlooked sources in her study of Laurent Tailhade’s influence on Owen’s budding poetic vocation, as well as the young poet’s exposure to Francophone novelists and poets such as Barbusse, Duhamel, Péguy, Verhaeren, Flaubert, Mallarmé, Apollinaire and Hugo. Through an extensive analysis of “Spring Offensive”, Laure-Hélène Anthony Gerroldt studies Owen’s representations of the French landscape, perpetually caught in a dialogue with the poet’s British heritage. This paper is completed by Thomas Vuong’s own analysis of Owen’s ambivalent Franco-British imaginary, qualifying the importance of French influence in his work through a study of his landscapes, his use of French words and his sonnet rhyming schemes. Finally, Jérome Hennebert’s paper examines how Wilfred Owen’s lyricism became “objective” partly under Keats’s aegis and that of the 19th century symbolist poets Stéphane Mallarmé and Paul Verlaine, decentering the lyric subject in a manner which announces the modernist movement. 

 A second section focuses on Owen’s reception in France. What exactly is Owen’s critical and popular posterity in France, and by whom is he read? Sarah Montin’s paper explores the ambiguities of the poet’s reception in France, from the 1920’s to 2020, through the lens of academic and intellectual criticism, creative appropriation and translation. The following papers act as companion pieces, giving a voice to two important “passeurs” of Wilfred Owen in France; poet, translator and publisher Emmanuel Malherbet and Belgian novelist and translator Xavier Hanotte

The third section covers biographical questions, allowing for fresh insights into Owen’s formative years in France. Gilles Couderc’s in-depth exploration of his time in Bordeaux and the Pyrenees between 1913 and 1915 sheds new light on understudied parts of Owen’s poems, language, life and correspondence while Roland Bouyssou’s paper offers a broader overview of the poet’s trajectory in France. Paul Elsam’s aural-accentual study opens new lines of inquiry such as the manner in which speaking French shaped not only Owen’s personality but also the manner in which he spoke. Finally, Neil McLennan’s paper discusses Owenian aspects of the “Auld Alliance”, offering an analysis of Owen’s Franco-Scottish influences and Owen’s little-discussed meetings with Albertina Marie Dauthieu, a Frenchwoman living in Scotland, whose interactions with Owen provide new glimpses into his life.              

To conclude, the fourth section of this issue is meant to be read as a tribute, an artistic homage to Wilfred Owen with poems by Damian Grant and the first pages of Paul Elsam’s screenplay Wilfred in Love (2018). This is completed by an assortment of translations by Emmanuel Malherbet, Roland Bouyssou and Sarah Montin, from variations on classics such as “Anthem for Doomed Youth” to other less famous poems, as yet untranslated into French. 

Edited by Elise Brault-Dreux & Sarah Montin

ARTICLES

« FRENCH POEMS » AND FRENCH INFLUENCES

Jennifer Kilgore-Caradec
The French Poetry of Wilfred Owen’s Modernism

Laure-Hélène Anthony-Gerroldt
Over “the last hill” : Wilfred Owen’s “Spring Offensive

Thomas Vuong
“England one by one had fled to France”: French and British imaginaries in Wilfred Owen’s poems

Jérôme Hennebert
Dire la compassion: le lyrisme de Wilfred Owen

RECEPTION AND TRANSLATION IN FRANCE

Sarah Montin
“Journey from obscurity?”: Wilfred Owen’s reception and posterity in France

Emmanuel Malherbet, poet and translator of Owen
« Donner un sens aux brimborions » (propos recueillis par Sarah Montin)

Xavier Hanotte, poet and translator of Owen
Wilfred Owen ou la parole survivante

LIFE IN FRANCE

Gilles Couderc
Monsieur Owen en Aquitaine

Roland Bouyssou
Wilfred Owen: A War Poet’s Progress in France

Paul Elsam
“Mending my Speech”: How France helped Owen Reinvent Himself

Neil McLennan
“La Fleur et le chardon”: Wilfred Owen’s Franco-Scottish influences

AROUND WILFRED OWEN: ARTISTIC CONTRIBUTIONS

Damian Grant
Poems: “Wilfred Owen at Ors

Paul Elsam
From the screenplay Wilfred in Love (2018)

Emmanuel Malherbet
« À la jeunesse sacrifiée, une prière », « Conscience », « Inspection », « Les Appels » (poèmes traduits)

Roland Bouyssou
« Hymne pour une jeunesse au funeste destin », « Étrange rencontre », « Fête des adieux » (poèmes traduits)

Sarah Montin
« Les Aliénés » (poème traduit)