Isaac Rosenberg: poèmes de guerre (1914-1918)

TRANSLATED BY SARAH MONTIN 

August 1914

What in our lives is burnt
In the fire of this?
The heart’s dear granary?
The much we shall miss?

Three lives hath one life –
Iron, honey, gold.
The gold, the honey gone –
Left is the hard and cold.

Iron are our lives
Molten right through our youth.
A burnt space through ripe fields
A fair mouth’s broken tooth.

Août 1914

Combien de notre vie
Brûle en ce brasier ?
Le cher grenier du cœur ?
Tout ce qui nous manquera?

 Trois vies font une vie –
Le fer, le miel, l’or.
L’or et le miel ne sont plus –
Ne reste que le dur et le froid.

 Notre vie c’est le fer
Coulé au cœur de notre jeunesse.
Un trou brûlé dans les blés mûrs
Une dent brisée dans une belle bouche.

On Receiving News of the War

Snow is  a strange white word.
No ice or frost
Has asked of bud or bird
For Winter’s cost.

Yet ice and frost and snow
From earth to sky
This Summer land doth know.
No man knows why.

In all men’s hearts it is.
Some spirit old
Hath turned with malign kiss
Our lives to mould.

Red fangs have torn His face.
God’s blood is shed.
He mourns from His lone place
His children dead.

O! Ancient crimson curse!
Corrode, consume.
Give back this universe
Its pristine bloom.

En apprenant la nouvelle de la guerre

Neige est un mot étrange et blanc.
Ni la glace ni la neige
N’ont demandé au bourgeon ou à l’oiseau
Le prix de l’hiver.

 Mais le gel, le givre et la neige
Du sol au ciel
Ont couvert cette terre d’été.
Nul ne sait pourquoi.

 Il est dans tous les cœurs.
Un esprit ancien,
D’un baiser mauvais, a vicié
Notre vie.

 Des crocs rouges ont lacéré Son visage.
Le sang de Dieu s’est répandu.
Depuis Son séjour solitaire, il pleure
Ses enfants morts.

Ô fléau ancien et pourpre!
Corromps, consume.
Rends au monde
Son éclat immaculé.

Through These Pale Cold Days

Through these pale cold days
What dark faces burn
Out of three thousand years,
And their wild eyes yearn,

While underneath their brows
Like waifs their spirits grope
For the pools of Hebron again —
For Lebanon’s summer slope.

They leave these blond still days
In dust behind their tread
They see with living eyes
How long they have been dead.

Par ces jours pâles et froids

 Par ces jours pâles et froids
Quels visages sombres brûlent
Depuis trois mille ans
Et leurs yeux fébriles se languissent

 Tandis que sous leur front
Leur âme orpheline tâtonne
Vers les lacs d’Hébron,
La colline d’été du Liban.

Ils laissent ces jours blonds et calmes
Derrière eux dans la poussière,
De leurs yeux vivants ils voient
Qu’ils sont morts depuis longtemps.

The Jew

Moses, from whose loins I sprung,
Lit by a lamp in his blood
Ten immutable rules, a moon
For mutable lampless men.

The blonde, the bronze, the ruddy,
With the same heaving blood,
Keep tide to the moon of Moses.
Then why do they sneer at me?

Le Juif

Moïse, dont j’ai jailli des entrailles,
D’une lampe dans le sang alluma
Dix règles constantes : une lune
Pour des hommes inconstants, sans lumière.

 Le blond, le bronze, le roux
Du même sang houleux
Suivent les marées de la lune de Moïse.
Pourquoi donc me méprisent-ils ?

Sarah Montin est Maîtresse de Conférences en littérature et traduction à L’université Sorbonne-Nouvelle. Elle travaille sur la poésie de guerre et a publié une monographie sur les war poets britanniques (Contourner l’abîme. Les poètes-combattants britanniques à l’épreuve de la Grande Guerre, Sorbonne Université Presses, 2018). Elle a traduit en français plusieurs d’entre eux, dont Ivor Gurney (2016)  et Isaac Rosenberg (2018) pour les Éditions Alidades.